Les hommes justes parmi les intellectuels non-musulmans sont les premiers à reconnaître qu’à travers leur histoire, les musulmans ont montré une tolérance inégalable à l’égard de ceux qui ne partagent pas leur foi. En effet, il suffit de lire le témoignage de Gustave Le Bon, tiré de son ouvrage « La civilisation des Arabes »[1] : « Nous avons vu par les passages du Coran cités plus haut que Mahomet montre une tolérance excessive et bien rare chez les fondateurs de religion pour les cultes qui avaient précédé le sien, le judaïsme et le christianisme notamment, et nous verrons plus loin à quel point ses prescriptions à cet égard ont été observées par ses successeurs. Cette tolérance a été reconnue par les rares écrivains sceptiques ou croyants, qui ont eu l’occasion d’étudier sérieusement de près l’histoire des Arabes. Les citations suivantes que j’emprunte à plusieurs d’entre eux montreront que l’opinion que nous professons sur ce point ne nous est nullement personnelle :
Les musulmans sont les seuls enthousiastes qui aient uni l’esprit de tolérance avec le zèle du prosélytisme, et qui prenant les armes, pour propager la doctrine de leur prophète, aient permis à ceux qui ne voulaient pas le recevoir de rester attachés aux principes de leur cultes (Robertson, Histoire de Charles-Quint).
Le Coran qui commande de combattre la religion avec l’épée, est tolérant pour les religieux. Il a exempté de l’impôt les patriarches, les moines et les serviteurs. Mahomet défendit spécialement à ses lieutenants de tuer les moines, parce que ce sont des hommes de prière. Quand Omar s’empara de Jérusalem, il ne fit aucun mal aux chrétiens. Quand les croisés se rendirent maîtres de la ville sainte, ils massacrèrent sans pitié les musulmans et brûlèrent les juifs. (Michaud, Histoire des croisades).
Il est triste pour les nations chrétiennes que la tolérance religieuse, qui est la grande loi de charité de peuple à peuple, leur ait été enseignée par les musulmans. C’est un acte de religion que de respecter la croyance d’autrui et de ne pas employer la violence pour imposer une croyance. (L’abbé Michou, Voyage religieux en Orient) ».
De son côté Marcel Boisard dit : « dans son sens le plus moderne, la tolérance correspond à une disposition d’esprit ou à une règle de conduite consistant à s’interdire tout moyen coercitif à l’égard de ceux qui ne partagent pas des convictions identiques. Elle n’est pas indifférence, dans la mesure où elle n’implique pas une abstention de manifester des idées ou de les défendre sans violence. Elle exprime, aussi, le respect d’une idée que l’on réprouve, en la considérant cependant comme une contribution à la vérité totale. Dans ce sens, force est de reconnaître que l’Islam a été tolérant sur le plan religieux, et même davantage, puisqu’il respecte et protège les adeptes des révélations divines antérieures » [2].
Les fondements idéologiques de la tolérance en islam :
L’esprit de respect et de tolérance vivement affirmé chez les musulmans plonge ses racines dans la religion musulmane qui démontre que :
– Le musulman doit reconnaître et respecter la dignité de l’être humain quels que soient sa religion, sa culture, son ethnie ou sa couleur, conformément au verset : « Certes, Nous avons honoré les fils d’Adam »[3]. Faire preuve de respect et de tolérance envers tout être humain n’est qu’une conséquence de la reconnaissance de la dignité humaine établie par Dieu.
– Dieu ordonne et aime l’équité et les équitables, qu’Il appelle aux nobles caractères dans la façon de se comporter avec l’autre, d’une façon absolue, en dépit des différences de chacun et qu’Il réprouve l’injustice, et punit les injustes quelle que soit l’origine ou l’appartenance de celui qui a subi l’injustice. Dieu dit : « Dis : « Mon Seigneur a commandé l’équité »[4], « Certes, Allah commande l’équité et la bienfaisance »[5], « Que l’aversion que vous ressentez pour certaines personnes ne vous incite pas à commettre des injustices ! Soyez équitables ; cela est plus proche de la piété »[6].
La diversité des religions, ethnies et pensées correspond à la volonté divine, qui ne peut être dépourvue de Sagesse. Dieu dit : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus »[7], « Et si ton Seigneur l’avait voulu, Il n’aurait fait des hommes qu’une seule communauté (de même confession). Or, ils ne cessent d’être différents, à l’exception de ceux auxquels ton Seigneur a accordé sa miséricorde. Et c’est bien pour être si différents qu’Il les a créés »[8], « Et si ton Seigneur l’avait voulu, tous les hommes peuplant la terre auraient, sans exception, embrassé Sa foi. Est-ce à toi de contraindre les hommes à devenir croyants ? »[9]. Finalement, cette diversité n’est autre que le résultat du « libre choix » que Dieu a accordé aux hommes : « Croira qui voudra et niera qui voudra »[10]. Ainsi, réprouver la diversité revient, à remettre en cause la Volonté et la Sagesse de Dieu.
Les degrés de tolérance :
Dans son excellent ouvrage « Les non musulmans dans la société musulmane »[11], son éminence cheikh Youssef al-Qaradawi dit que la tolérance religieuse et intellectuelle varie selon divers degrés :
– Le degré le plus bas consiste à laisser à celui qui ne partage pas ta foi ou ta pensée, jouir de sa liberté religieuse et sa liberté de conscience, sans le contraindre à adopter ni ta religion ni ta pensée en exerçant sur lui des pressions d’ordre physique ou psychologique. Par contre, tu ne lui permets pas de pratiquer les rites cultuels et ce qu’il considère comme étant impératif dans sa religion.
– Le degré intermédiaire consiste à accorder à autrui la liberté religieuse sans le contraindre à renoncer à une pratique qu’il considère obligatoire, ni à faire une chose qu’il considère illicite. Ainsi, si le juif croit qu’il est interdit de travailler le jour du « sabbat », il n’est pas permis de le charger d’un travail ce jour-là, car il ne pourra le faire sans avoir le sentiment de commettre un interdit. De même, si le chrétien considère obligatoire de se rendre à l’église le dimanche, il n’est pas permis de l’en empêcher ce jour-là.
– Le degré le plus haut consiste à ne pas imposer à autrui de restrictions dans ce qu’il considère permis dans sa religion, quand bien même ceci est considéré comme illicite dans ta religion. Telle fut l’attitude des musulmans vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas leur religion, atteignant ainsi le plus haut degré du respect et de la tolérance.
Marcel Boisard dit : « Les membres d’un groupe minoritaire sont soumis à leurs lois propres et ne sont pas tenus, hormis certaines dispositions protégeant la sécurité publique, d’observer la règle islamique au même titre que les musulmans. La tolérance est, alors, acceptation. Elle devait permettre l’établissement d’un système garantissant la personne et les biens des éléments minoritaires dans la société, en assurant le respect de leur religion, de leurs mœurs et de leurs institutions » [12].
Moncef ZENATI
[1] – « La civilisation des Arabes » de Gustave Le Bon p 472 (en marge de la page 85)
[2] – Marcel A. Boisard, l’Humanisme de l’Islam, p 197
[3] – Coran s 17 v 70
[4] – Coran s 7 v 29
[5] – Coran s 16 v 90
[6] – Coran s 5 v 8
[7] – Coran s 49 v 13
[8] – Coran s 11 v 118-119
[9] – Coran s 10 v 99
[10] – Coran s 18 v 29
[11] – « ghayroul-mouslimin fil-moudjatam’il-islami » de Dr. Youssef al-Qaradawi p 45-46
[12] – Marcel A. Boisard, l’Humanisme de l’Islam, p 178