L’islam appelle au juste milieu dans tous les domaines de la vie. Il présente un équilibre entre l’idéalisme et le réalisme, entre le cœur et la raison, entre la foi et la science, entre l’âme et la matière, entre l’individu et la société, entre la part de Dieu et la part de l’égo, entre la liberté et la responsabilité, de manière à éviter aussi bien l’excès que le défaut.
Le Prophète (ﷺ) est par excellence la traduction pratique de cet équilibre, le modèle parfait du juste milieu.
Le Messager adorateur et ascète : Il était le premier adorateur de Dieu. La Prière (salât) était la prunelle de ses yeux. Il passait ses nuits à prier jusqu’à ce que ses pieds se fendent. Il dormait très peu et priait beaucoup. Il pleurait jusqu’à mouiller sa barbe. Et lorsque son épouse ‘Aïsha s’étonnait de cette ferveur et de ces larmes, il lui disait : « Ne serai-je pas un serviteur reconnaissant ?! »[1].
Il jeûnait souvent les lundis et les jeudis de chaque semaine. Parfois, il jeûnait tellement au point de penser qu’il jeûnait toute l’année. Il lui arrivait de jeûner jour et nuit, sans interruption, pendant quelques jours, sans se nourrir, ni s’abreuver au coucher du soleil, alors qu’il interdisait cette pratique à ses compagnons en leur disant : « Vous n’êtes pas comme moi. Mon Seigneur me nourrit et étanche ma soif. » C’était donc une pratique qui relevait de ses spécificités.
Il invoquait Dieu continuellement, dans toutes les situations et à tout moment, par le cœur et par la langue. Ses invocations, implorations et supplications laissaient manifester les plus belles valeurs de sincérité et de servitude envers son Seigneur.
Malgré sa ferveur dans l’adoration, ses invocations incessantes et ses efforts continus dans la transmission du message divin, il implorait souvent le Pardon de son Seigneur et se repentait constamment. Il disait : « Par Dieu ! j’implore le Pardon de Dieu et je me repens certainement chaque jour plus de soixante-dix fois »[2], « Ô gens ! Repentez-vous et implorez le Pardon de Dieu, je me repens moi-même cent fois par jour »[3].
Il était l’être le plus ascète, le plus détaché de ce bas monde. Il se satisfaisait du peu, bien que Dieu lui ait octroyé une part du butin, et qu’il soit parvenu à régner sur l’Arabie… Malgré cela, il a rejoint son Seigneur sans jamais s’être rassasié de pain d’orge durant trois jours d’affilé. La lune passait, puis une autre, puis une autre, trois lunes en deux mois, sans que le feu ne soit allumé chez-lui. Il vivait d’eau et de dattes. Il dormait sur une paillasse qui laissait des traces sur ses côtés. Lorsque ‘Umar ibn al-Khattâb le vit un jour ainsi, il pleura et les compagnons lui suggérèrent de remplacer sa paillasse par un matelas plus confortable. Il répondit : « Qu’ai-je à voir, moi, avec ce bas monde ? Je suis dans ce bas monde comme un voyageur, en un jour caniculaire, qui s’est arrêté pour s’ombrager sous un arbre, puis est parti en le quittant ! »[4].
Le Messager (ﷺ), l’homme : Malgré, cette extraordinaire spiritualité, sa ferveur dans l’adoration et l’invocation, et son renoncement à ce bas monde, il ne négligeait pas les autres aspects de la vie et leurs exigences. Il n’oubliait pas qu’il était également un homme, un mari, un père, un grand-père, un proche parent, un ami, un dirigeant… A chaque posture ses responsabilités.
Il était un être humain qui se satisfaisait comme se satisfont les gens, se mettait en colère comme ils se mettent en colère, se réjouissait comme ils se réjouissent, et s’attristait comme ils s’attristent.
En revanche, son agrément ne l’amenait jamais à admettre une injustice, sa colère ne l’écartait jamais de la vérité, sa joie ne le poussait jamais à se complaire d’un mensonge et sa tristesse ne le déviait jamais de la patience et de l’acceptation du destin. Il partageait avec ses compagnons leurs moments de joie sans jamais s’écarter de la bienséance.
Il riait lorsqu’on le faisait rire. Il lui arrivait de plaisanter mais ne disait que la vérité. Il permit aux abyssiniens de danser avec leurs lances dans sa mosquée. Connaissant les habitudes des médinois, il dit lors du mariage de l’un d’eux : « N’ont-ils pas de distraction avec eux ? Les médinois aiment les distractions »[5]. Durant un jour de fête, il permit à deux femmes de chanter chez lui afin que l’on sache qu’il avait été envoyé avec une religion souple et indulgente.
Un mari exemplaire : Il se comportait merveilleusement bien avec ses épouses. Il était juste entre elles, veillait à leur faire plaisir, et tenait compte de la situation particulière de chacune. Il aimait les écouter attentivement même si le discours devait être long, et malgré ses différentes préoccupations, il accordait à ses épouses des moments de détente comme dans le cas de ‘Aïsha avec laquelle il prenait le temps faire la course.
Un père et un grand-père attentionné : Il aimait ses enfants et le manifestait. Lorsque son fils Ibrâhîm décéda dans ses bras, il versa des larmes, et accueillit cette épreuve avec acceptation en disant : « L’œil pleure et le cœur s’attriste, mais nous ne disons que ce qui plaît à notre Seigneur. Par Dieu, Ibrahim nous sommes tristes de te quitter. » [6].
A chaque fois que sa fille Fâtima entrait, il se levait, l’embrassait sur le front et lui cédait sa place. Lorsqu’il rentrait de voyage, la première chose qu’il faisait était d’accomplir deux rak’as dans sa mosquée, puis il allait rendre visite à Fâtima, sa fille qu’il chérissait tant.
Lorsque ‘Ali, le mari de Fâtima, envisagea de se marier avec une autre femme, le Prophète (ﷺ) le lui interdit en disant : « Fâtima est une partie de moi-même ; quiconque l’irrite, m’irrite également. »[7].
Il jouait avec ses petits-enfants al-Hasan et al-Husayn. Il les embrassait et les faisait monter sur son dos. Un jour, l’un des deux monta sur son dos alors qu’il était en prosternation, il resta prosterné si longtemps que les compagnons pensèrent qu’il lui était arrivé quelque chose. Il leur dit après la Prière : « Mon fils est monté sur mon dos me prenant pour sa monture et je n’ai pas voulu le faire descendre jusqu’à ce qu’il en ait eu assez »[8].
Il entretenait parfaitement les liens de parenté, du voisinage et de l’amitié : il respectait les liens de parenté même s’il s’agissait d’incroyants. Il dit à Quraysh : « Vous avez un lien de parenté qui me lie à vous, je m’acquitterai des devoirs qui y sont dus »[9]. Après les avoir vaincus, il dit aux mecquois qui l’avaient chassé de chez lui et longuement combattu : « Allez en paix, vous êtes tous libres ! »[10].
Il honorait les proches de son père parmi les Banû an-Najjâr à Médine, comme il honorait la famille de sa mère parmi les Banû Zuhra.
Il respectait les droits du voisin qu’il soit musulman ou non, même si ce voisin ne respectait pas le bon voisinage. Il dit : « L’Ange Gabriel ne cessa de me commander la bienfaisance vis-à-vis du voisin si bien que je crus qu’il allait lui octroyer une part de l’héritage »[11].
Il était un ami attentif aux droits de l’amitié. Un jour, lorsqu’on mit Abû Bakr en colère, il se fâcha et dit : « Laissez mon compagnon tranquille… ».
Il était l’être le plus loyal envers ses compagnons et envers quiconque était lié à lui ou à sa famille par un lien particulier. Il honorait certaines femmes âgées, les accueillait chaleureusement et leur offrait des cadeaux. Lorsqu’on lui demanda pourquoi ? Il dit : « Celle-ci était l’amie de Khadîja, et la loyauté fait partie de la foi »[12].
Un chef d’Etat : Il était le chef d’un nouvel Etat entouré d’ennemis. Mais la lutte pour vivre et les préparations pour résister aux agressions ne l’empêchaient d’être attentif aux affaires internes de l’Etat : il construisit la mosquée et fonda le marché. Ses préoccupations allaient de l’établissement d’une constitution garantissant un vivre ensemble dans le respect et d’une coexistence pacifique entre tous les habitants de Médine, musulmans, juifs et idolâtres, à sa préoccupation du sort d’un chat enfermé par une femme qui le laissa mourir de faim ; de l’accueil des délégations en provenance de toute l’Arabie et de l’envoi des émissaires aux principaux souverains du monde, à son attention à la situation d’une femme lui saisissant la main, l’emmenant dans les rues de Médine, pour lui exposer son cas. Par pudeur et humilité, il ne retirait pas sa main de la sienne jusqu’à ce qu’elle obtienne sa réponse[13].
Un être se remettant profondément à Dieu : Il tenait compte des lois régissant l’Univers établies par Dieu, entreprenait les causes, préparait, planifiait, organisait et ordonnait la prudence et la prise des précautions, sans pour autant oublier de s’en remettre à Dieu ; sans oublier que toute chose est entre les mains de Dieu, particulièrement dans les moments difficiles. C’est d’ailleurs pendant ces situations que se manifestait sa confiance en Dieu de la manière la plus forte.
Un être actif jouissant des bonnes choses de la vie : Malgré son attachement à l’au-delà et son renoncement à ce bas monde, il ne vécut pas dans cette vie tel un moine rejetant ce bas monde et se privant de ses plaisirs matériels. Il considérait que le bas monde était un champ de semence pour l’au-delà et dont le vicariat avait été attribué à l’homme, pour lequel il y avait sur terre séjour et jouissance. Il estimait que l’aménagement et l’exploitation de la terre étaient l’une des finalités de la législation musulmane. Ainsi, l’agriculture, l’industrie, le travail, le commerce et autres sont des formes d’adoration si l’intention qui les anime est saine et si ceux-ci sont réalisés conformément à la loi, sans tromperie ni négligence. C’est pourquoi il laissa ses compagnons continuer leurs différentes activités sans demander à aucun d’entre eux de tout abandonner pour se consacrer à l’adoration. Au contraire, il leur demandait de se rapprocher de Dieu par le fait d’exceller dans leur travail. Il disait : « Dieu a prescrit l’excellence en toute chose »[14], « Dieu aime que lorsque l’un de vous fait un travail, le perfectionne. »[15]
Par ailleurs, lorsque de bonnes choses se présentaient à lui, il ne les refusait pas. Lorsqu’il en trouvait, il les consommait, et rendait la louange à Dieu. A défaut, il ne les convoitait pas et ne s’attristait pas lorsqu’il en manquait.
La viande était la nourriture préférée du Prophète (ﷺ), particulièrement l’épaule. Sa boisson favorite était l’eau fraîche. Il y mettait quelques dattes pour l’adoucir.
Il portait les vêtements qu’il avait sous la main. Il n’avait pas une tenue spécifique ou distinctive. Cependant, il réservait certains habits pour les Prières du vendredi et des deux fêtes, ainsi que pour l’accueil des délégations. Il se coiffait, se parfumait, et aimait le parfum. Il se regardait dans le miroir en disant : « Seigneur Dieu comme tu as parfait mon physique, parfais mon comportement »[16]. Il commandait à ses compagnons la propreté et la beauté. Il tenait à ce qu’ils soient présentables et à ce qu’ils sentent bon. Il n’aimait pas que l’un d’eux vienne le voir en étant échevelé tel un démon. Il disait : « Quiconque a des cheveux, qu’il en prenne soin »[17]. Il incitait à l’hygiène dentaire en disant : « Le siwâk (brossage des dents) est une purification pour la bouche, et il procure l’agrément de Dieu »[18]. Il insistait sur le fait de prendre soin du corps : « Il est du droit de Dieu sur tout musulman que celui-ci se lave la tête et le corps une fois par semaine »[19]. Il apprenait à ses compagnons, et il en était le modèle, que la religion ne s’oppose pas à la beauté. Il disait : « Dieu est beau, Il aime la beauté »[20].
Il se soignait et ordonnait à ses compagnons de se soigner. Il leur enseignait que Dieu n’avait pas fait descendre une maladie sans lui faire descendre un remède, ceux qui le connaissent le connaissent, et ceux qui l’ignorent, l’ignorent. Il préconisait lui-même certains remèdes pour certaines maladies selon son expérience personnelle acquise de son environnement. Mais en parallèle à cela, il avait recours à des remèdes spirituels à travers les incantations et les implorations. Il les utilisait pour lui-même, et les apprit à ses compagnons, en les mettant en garde contre les incantations polythéistes.
En vérité, la vie du Prophète (ﷺ) était une vie équilibrée fondée sur le juste milieu, chacun y trouvera un modèle à suivre.
Le pauvre y trouvera un exemple à suivre, un modèle de patience, à l’image du jour où le Prophète (ﷺ) attacha une pierre à son ventre à cause de la faim. Le riche y trouvera également un exemple à suivre, un modèle de générosité, comme lorsque Dieu lui ouvrit les portes de la richesse et qu’il mit une part de ses biens à la disposition de l’Etat et des plus démunis.
Le gouvernant et le gouverné, le marié et le célibataire, le père, le grand-père, le jeûne, le plus âgé, le sédentaire, le voyageur, le malade et le bien portant, l’orphelin, celui qui a perdu un proche, l’éprouvé et bien d’autres, tous ont dans la vie du Prophète (ﷺ) un exemple à suivre, pendant la facilité et la difficulté, pendant l’aisance et la calamité, pendant la victoire et la défaite.
Le défaut de certains spiritualistes est qu’ils ont considéré un seul côté de sa vie et en ont négligé d’autres, ou en ont exagéré un trait au détriment des autres. Alors que s’ils avaient médité les choses avec plus de justesse, ils se seraient aperçus que la vie du Prophète (ﷺ) est caractérisée par la globalité, l’équilibre, la modération et la complémentarité ; autant de caractéristiques qui englobent tout ce que certains ont supposé être des extrêmes opposés, alors qu’en réalité il n’en est rien. Au contraire, Dieu a voulu faire de Son Messager (ﷺ) un modèle dans toutes ces choses.
Moncef Zenati
[1] – rapporté par al-Bukhârî
[2] – rapporté par al-Bukhârî
[3] – rapporté par Muslim
[4] – rapporté par Ahmad
[5] – rapporté par al-Bukhârî
[6] – Rapporté par Ibn Sa’d
[7] – rapporté par al-Bukhârî et Muslim
[8] – rapporté par Ahmad et an-Nasâ-î
[9] – rapporté par al-Bukhârî et Muslim
[10] – rapporté par al-Bayhaqî
[11] – rapporté par al-Bukhârî et Muslim
[12] – rapporté par al-Hâkim et al-Bayhaqî
[13] – rapporté par al-Bukhârî
[14] – rapporté par Muslim
[15] – rapporté par at-Tabarânî
[16] – rapporté par Ahmad
[17] – rapporté par Abû Dâwûd
[18] – rapporté par Ahmad
[19] – rapporté par al-Bukhârî et Muslim
[20] – rapporté par Muslim, Ahmad et at-Tirmidhî