Plusieurs versets éparpillés dans le Coran exposent d’une manière forte et explicite les fondements des droits de l’homme. Mais le premier texte considéré comme une déclaration des droits de l’homme est le discours donné par le Prophète (ﷺ) à l’occasion du Pèlerinage d’adieu devant environ cent vingt mille musulmans rassemblés tous au Mont ‘Arafat. Dans ce discours, il posa les bases des droits de l’homme en rendant sacrés et inviolables la vie, les biens, et l’honneur. Il prit Dieu et les gens pour témoins de ceci, et recommanda la bonté envers les femmes.
Les droits de l’homme peuvent être résumés en deux principes :
– La dignité et l’honorabilité : Ce principe est inhérent à tout être humain, en tant qu’être humain. Dieu dit : « Certes Nous avons honoré les fils d’Adam. Nous les avons transportés sur terre et sur mer, leur avons attribué de bonnes choses comme nourriture, et Nous les avons nettement préférés à plusieurs de Nos créatures » (Sourate Le voyage nocturne, Verset 70).
– L’égalité : L’islam a fortement insisté sur ce principe. Le Prophète (ﷺ) dit : « Ô hommes ! Votre Seigneur est Un, et votre père est un. Nulle préférence n’est accordée à l’arabe par rapport au non-arabe, ni au non-arabe par rapport à l’arabe, ni au blanc par rapport au noir. Vous êtes tous issus d’Adam, et Adam est issu de la terre ».
Tous les droits émanent de ces deux principes. Ainsi, les droits de la femme sont égaux à ceux de l’homme et la liberté sous toutes ses formes est garantie à tous. Le principe est que l’homme est libre, comme l’exprime le commandeur des croyants ‘Omar ibn al-Khattab, que Dieu l’agrée : « Depuis quand réduisez-vous les hommes à l’état d’esclavage alors que leurs mères les ont fait naître libres ».
Les Européens ont attendu plus de mille ans après la déclaration de ‘Omar pour que Jean-Jacques Rousseau déclare dans son ouvrage « Du contrat social » : l’homme est né libre. Sauf qu’en islam, la liberté de l’individu ne porte pas préjudice à la société. L’équilibre entre l’individu et la société est l’élément le plus méticuleux du principe de la liberté. En effet, cette liberté est garantie tant qu’elle ne porte pas atteinte à l’ordre public par l’insulte de la religion ou des individus ou par le fait d’attenter à la vie et aux biens d’autrui. Reste à définir ici en quoi consistent l’ordre public et les normes de la morale ?
Par ailleurs, l’islam est une religion de solidarité dans le sens où il n’exige pas uniquement de toi de t’abstenir de nuire à autrui, mais exige de toi d’un point de vue religieux et judiciaire d’empêcher la nuisance d’autrui à l’encontre d’un autre et de mettre en œuvre tout le nécessaire pour lui porter assistance, sauver sa vie et ses biens et défendre son honneur. A défaut, tu es coupable de péché et il lui appartient de t’assigner en justice pour exiger de toi un dédommagement si tu ne sauves pas une personne de l’incendie ou si tu ne portes pas assistance à un non-voyant. Il s’agit du droit d’assistance. Dieu dit : « Et qu’avez-vous à ne pas combattre dans le sentier de Dieu pour la cause des faibles : hommes, femmes et enfants » (Sourate les femmes, Verset 75).
En résumé, tous les droits fondamentaux de l’homme sont établis par l’islam. Aussi, l’homme est un être honoré par Dieu. Il a le droit au respect et on ne peut transgresser son intimité « Et n’espionnez pas ; et ne médisez pas les uns des autres » (Sourate les appartements, Verset 12), « Ô vous qui avez cru ! N’entrez pas dans des maisons autres que les vôtres avant de demander la permission et de saluer leurs habitants » (Sourate la lumière, Verset 27).
Ceci n’est pas spécifique aux musulmans mais englobe les adeptes des autres religions. En effet, al-Bayhaqi rapporte que le Prophète (ﷺ) a interdit d’entrer dans les maisons des gens du livre sans leur permission ainsi que de manger des fruits de leurs champs sans leur permission.
L’islam garantit à l’homme le fait ne pas lui adresser un discours qu’il déteste. Dieu dit : « Ô vous qui avez cru ! Qu’un groupe ne se raille pas d’un autre groupe : ceux-ci sont peut-être meilleurs qu’eux. Et que des femmes ne se raillent pas d’autres femmes : celles-ci sont peut-être meilleures qu’elles. Ne vous dénigrez pas et ne vous injuriez pas » (Sourate les appartements, Verset 11).
Nul ne peut être responsable d’un crime d’autrui « Personne ne portera le fardeau (responsabilité) d’autrui » (Sourate les bestiaux, Verset 164), et tout homme est innocent jusqu’à preuve du contraire et ne saurait être condamné par un effet rétroactif d’une loi.
L’islam garantit le droit de propriété et d’usage de biens collectifs sans propriétaires particuliers tels que la terre, les mers, les rivières, les animaux terrestres et les poissons.
Il est interdit de violer la propriété d’autrui et quiconque décède en possession d’un droit, ce droit est transféré à ses héritiers. Les gens s’échangent leurs biens à travers la vente, la location, le prêt, l’emprunt, le commerce, les dons… L’homme ne peut acquérir un bien par un moyen illicite tel que le vol, l’usurpation, l’usure, la tromperie ou les jeux de hasard.
Le pauvre et le faible ont un droit sur la société. Ils ne peuvent être laissés à l’abandon, exposés à la perdition. Ces droits sont garantis par la législation et le pouvoir judiciaire.
De même, l’islam a garanti un droit au voyageur sur les résidents. Ils doivent ainsi l’orienter, le nourrir s’il en a besoin et lui octroyer une part de la zakât s’il en a besoin car il fait partie dans ce cas des bénéficiaires de la zakât à titre d’étranger de passage « ibn as-sabil ».
L’islam a également garanti les droits des parents. Les enfants doivent subvenir aux besoins de leurs parents si ces derniers sont pauvres. Le pouvoir judiciaire veille à l’application de ce droit. Par extension, ce droit est appliqué aux proches selon le degré de parenté.
Le grand nombre de droits garantis par l’islam a fait en sorte que la société musulmane soit une société harmonieuse, soudée et solidaire. L’islam a chargé les détenteurs du pouvoir de veiller au respect et à la réalisation des droits fondamentaux de l’homme. En contrepartie de ce devoir, l’islam leur a octroyé un droit ; celui de l’obéissance. Dieu dit : « Ô vous qui avez cru ! Obéissez à dieu, et obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement » (Sourate les femmes, Verset 59).
Par ailleurs, les savants ont établi ce qu’ils appellent : les finalités de la législation, c’est-à-dire, l’esprit tiré de l’ensemble des textes qui détermine l’objectif que la législation vise à atteindre. En effet, Abou Ishaq ash-Shatibi explicite des lois de la « shari’a » en disant : Elles reviennent à préserver ses objectifs dans la création, et ces finalités sont divisées en trois catégories : des finalités relevant de la nécessité, des finalités relevant du besoin, et des finalités relevant de l’accessoire.
La finalité relevant de la nécessité correspond à ce sur quoi est fondée la vie humaine et sans quoi la vie ne peut se dérouler sainement ; son absence entraîne inévitablement le désordre et la corruption et empêche le déroulement normal de la vie.
Ce type de finalité implique la préservation et la protection de tous les droits fondamentaux de l’homme. Il se traduit par le droit à la vie, à la propriété, à la constitution d’une famille ainsi que par le droit relatif à la raison, le droit à une religion et à la progéniture.
Ash-Shâtibî explique ceci en disant : Toute la communauté s’accorde à dire que la législation vise à préserver les cinq nécessités : la religion, la vie, la progéniture, la propriété et la raison.
Al-Ghazâlî dit : Se sentir en sécurité dans sa vie, ses biens et son honneur est une condition d’exigibilité des actes cultuels.
Quant à la finalité relevant du besoin, elle se traduit par le droit à l’enseignement et au logement et par tout droit à même de lever les difficultés de la vie et de procurer une vie digne « Il ne vous a imposé aucune gêne » (le Pèlerinage : 78).
La finalité relevant de l’accessoire correspond au fait d’apporter à la vie embellissement et confort et au fait de jouir des bonnes choses conformément au verset : « Dis : « Qui a interdit la parure de Dieu qu’Il a produite pour Ses serviteurs, ainsi que les bonnes nourritures ? » » (al-a’raf : 32).
Ainsi, les finalités de la législation constituent les bases d’une vision complète et harmonieuse des droits de l’homme. La société et les individus se doivent de réaliser et préserver ces finalités. Il s’agit de la responsabilité de tous sur le plan religieux et judiciaire.
Nous pouvons résumer les principes fondamentaux des droits de l’homme en islam comme suit :
1- La construction de l’état sur le principe de la consultation « shoura » en commençant par le choix du dirigeant avec l’obligation de conformité aux lois de la législation musulmane.
2- Assurer le principe de la légitimité à travers le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire et ce, afin de protéger les droits contre tout autoritarisme ou transgression, et par conséquent, empêcher l’envahissement, l’outrage et la vengeance.
3- La déclaration de l’égalité entre les hommes, l’abolition du système des classes et des coutumes instaurant une préférence à raison de filiation ou d’une appartenance et l’établissement de la dignité sur la base de la piété et de l’utilité publique.
4- L’établissement des libertés générales dont les plus importantes sont la sacralité de la vie, de la dignité, de la propriété, du logement et la liberté religieuse, la liberté d’expression, la liberté de travailler et la liberté d’apprendre.
5- La liberté de propriété associée à la justice sociale obligatoire assurée par la zakât et d’autres dispositifs légaux comme le droit des nécessiteux dans les biens des plus riches et le système des pensions.
6- La liberté de conclure des contrats et l’obligation de respecter les engagements ainsi que ce qui en découle comme la liberté du commerce et de la disposition des biens et limitant ceci par l’interdiction de l’usure, la tromperie, l’accaparement, l’aléa et la contrainte, par l’exécution des dispositions testamentaires et par la distribution de l’héritage.
7- Rendre justice à la femme en lui octroyant le droit à l’héritage, à la propriété, à la disposition de ses biens, en lui procurant les composantes de la dignité et l’égalité des droits et des devoirs. Puis, en fondant le mariage sur l’amour et la compassion, en faisant de la dot, un droit exclusif à l’épouse en vue de l’honorer et de dissuader de divorcer sans raison, en limitant le nombre d’épouses et en interdisant le mariage temporaire et l’enterrement des filles nouveau-nées vivantes.
8- L’organisation du code pénal et la distinction entre le droit général ou le droit de Dieu et le droit personnel. La distinction entre les différents types de sanctions pénales : les sanctions exposées par les textes « had » et les sanctions non-explicitées faisant partie des prérogatives du représentant de l’autorité. Puis, l’établissement des conditions relatives aux homicides et aux blessures volontaires ainsi que la détermination du prix de sang « diya » et les dédommagements.
9- L’établissement des bases du droit international et l’incitation à la paix, à la fraternité et au respect des engagements, et par conséquent, l’interdiction des guerres agressives et la permission de la guerre défensive pour repousser l’agression contre la religion, le pays et les lieux sacrés et pour empêcher le désordre, préserver la liberté religieuse, porter assistance à l’opprimé même s’il s’agit de non-musulmans. Puis, par l’établissement des lois morales qui régissent la guerre interdisant ainsi la trahison, l’agression des pacifiques, interdisant de tuer les enfants, les femmes, les vieillards, les invalides, les hommes religieux, les savants, les agriculteurs, les blessés, interdisant de mutiler les corps et interdisant de semer la corruption par le fait d’endommager les plantations et les arbres ou par la destruction et la dévastation des habitations et les lieux de culte.
10- La liberté d’expression par l’ordonnance du bien et la proscription du mal. Il s’agit d’une liberté accompagnée d’une responsabilité comme c’est le cas en islam en ce qui concerne la prise en considération des actes et des paroles. Il ne pourrait y avoir une liberté d’expression utilisée pour injurier les autres ou diffuser les valeurs dévastatrices pour la société. Il s’agit d’une liberté responsable.
11- Le droit des pauvres et des plus faibles à la protection sociale et économique : « … et offrent la nourriture, malgré son amour, au pauvre, à l’orphelin et au captif » (l’homme : 8), « et dans leurs biens, il y a un droit au mendiant et au déshérité » (adh-dhariyat : 19).
12- Le droit à la justice : « Ô vous qui avez cru ! Soyez stricts (dans vos devoirs) envers Dieu et soyez des témoins équitables. Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injustes. Pratiquez l’équité ; cela est plus proche de la piété » (5 : 8), « Et quand vous jugez entre les gens, jugez avec équité » (4 : 58).
A noter que le droit de l’autre à la justice n’est pas connu avant l’islam. L’islam est la première religion à avoir reconnu ces droits en faisant fi du sexe, de l’origine, de l’ethnie, de la religion. Le Coran va même plus loin que cela en invitant les nations non-musulmanes à l’entraide fondée sur la justice, conformément au principe de liberté et de souveraineté de l’état : « Dis : « Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n’adorions que Dieu, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors de Dieu » » (la famille d’Imran : 64).
Fakhr ar-Razi (544 – 606H) (1149 – 1209) dit en commentant ce verset que l’expression arabe « kalimatin sawa-in » (traduit par « parole commune ») porte le sens de la justice et de l’équité dans l’adoration de Dieu d’une manière égalitaire. Il veut dire ainsi qu’aucun groupe ne peut exercer une domination ou une oppression sur un autre et que tous les hommes jouissent de la liberté et de l’égalité devant Dieu.
13- Le droit d’assistance et de solidarité : « Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la transgression » (la table servie : 2).
14- Le droit de rejeter les interdictions : C’est-à-dire, le droit à ne pas être contraint à commettre des interdictions d’un point de vue religieux. Le Prophète (ﷺ) dit : « Nulle obéissance à une créature dans la désobéissance du créateur ». Par conséquent, il n’appartient pas à l’autorité de légiférer des lois permettant l’interdit ou ce qui est préjudiciable aux gens. L’adage juridique stipule que « L’administration des gouvernés par le responsable politique est subordonnée à l’intérêt général ». De même, il n’appartient pas à un état puissant d’imposer ce qui est préjudiciable à un état faible, même si l’état puissant est musulman.
15- La protection des propriétés : « Et ne dévorez pas mutuellement et illicitement vos biens, et ne vous en servez pas pour corrompre des juges pour vous permettre de dévorer une partie des biens des gens, injustement et sciemment » (la vache : 188).
16- La protection de l’honneur et de la dignité de l’homme : « Ô vous qui avez cru ! Qu’un groupe ne se raille pas d’un autre groupe : ceux-ci sont peut-être meilleurs qu’eux. Et que des femmes ne se raillent pas d’autres femmes : celles-ci sont peut-être meilleures qu’elles. Ne vous dénigrez pas et ne vous injuriez pas » (les appartements : 11), « Ô vous qui avez cru ! Évitez de trop conjecturer sur autrui car une partie des conjectures est péché. Et n’espionnez pas ; et ne médisez pas les uns des autres » (les appartements : 12).
17- La protection de la vie privée : « Ô vous qui avez cru ! N’entrez pas dans des maisons autres que les vôtres avant de demander la permission et de saluer leurs habitants. Cela est meilleur pour vous. Peut-être vous souvenez-vous. Si vous n’y trouvez personne, alors n’y entrez pas avant que permission vous soit donnée. Et si on vous dit : « Retournez », eh bien, retournez. Cela est plus pur pour vous » (la lumière : 27 – 28).
Les droits de l’homme en islam se distinguent par le fait qu’ils sont imprégnés de sacralité dans la mesure où ils sont de source divine de même qu’ils se distinguent par leur caractère intelligible. Ces droits sont donc établis par Dieu, tirés de sa religion, dominant les passions caractérisées par la continuité et la permanence.
Par ailleurs, Dr. Al-Khayyat estime que les droits de l’homme s’inscrivent dans la lieutenance que Dieu a confiée à l’être humain. En effet, l’homme est chargé d’appliquer la volonté de Dieu sur terre et c’est dans le cadre de ce pacte de lieutenance que ses droits et devoirs lui sont révélés. Une concordance est établie entre les droits individuels et l’intérêt général car chaque droit individuel comporte un droit relatif à Dieu, c’est-à-dire un droit de collectivité, en accordant la prévalence au droit relatif à Dieu en cas de contradiction.
L’indépendance du pouvoir judiciaire constitue l’élément le plus fondamental des droits de l’homme en islam. La missive écrite par le calife ‘Omar ibn al-Khattab à Mou’awiya, que Dieu les agrée, gouverneur du Sham illustre parfaitement cette indépendance : « Tu n’as aucun pouvoir sur ‘Oubada ibn as-Samit ». ‘Oubada, que Dieu l’agrée, occupait la fonction de juge de Palestine désigné par le calife. Ainsi, ‘Omar mit un terme à l’ingérence des gouverneurs dans les affaires des juges.
Du temps des Abbassides, à la fin du deuxième siècle de l’Hégire, le calife s’est déchargé de nommer les juges confiant ceci aux juges. Le calife Haroun ar-Rashid désigna Abou Youssouf comme juge suprême et c’est ce dernier qui les nommait. La juridiction jouit alors d’une indépendance administrative.
Les tribunaux administratifs ou la cour de justice furent un moyen très avancé pour la protection des droits en particulier contre les infractions des autorités. Ces tribunaux ont été créés à l’initiative du calife al-Mahdi à la moitié du deuxième siècle de l’Hégire. Il recevait les plaintes des gens contre les hauts fonctionnaires de l’état et c’est lui-même qui les examinait. De l’époque d’al-Mahdi jusqu’au califat de al-Mouhtadi (255H), les califes réservaient un ou deux jours par semaine pour recevoir les plaintes des gens contre les représentants de l’autorité et autres.
Un tribunal militaire a été créé du temps des Mamlouks après l’expulsion des croisés du Sham à la fin du septième siècle de l’Hégire. Sa fonction était de juger les différends entre les militaires. Damas comptait deux juges militaires.
Par cheikh ‘Abdoullah Ben Beyya
(Traduit par Cheikh Moncef Zenati)