A son arrivée à Médine, Le Prophète Muhammad (ﷺ) y trouva des juifs et des polythéistes. Il ne pensa guère à élaborer une stratégie ou une politique d’expulsion, de réquisition ou de contrainte. Au contraire, il accepta leur présence de bon gré, proposant à tous les habitants de Médine, musulmans et non-musulmans, une constitution garantissant à chacun la liberté religieuse, un pacte de citoyenneté qui garantit à tous une coexistence pacifique.
Parmi les articles les plus importants de cette constitution, nous citons :
– Les juifs des Banû ‘Awf formant une communauté avec les Croyants.
– Aux juifs leur religion, et aux musulmans leur religion [1].
Deux articles constitutionnels qui ont fait de l’Etat Musulman fondé par le Prophète (ﷺ) un Etat unique dans l’histoire des hommes, puisqu’il reconnaît et garantit deux principes qui, jusque-là, n’avaient jamais existé dans aucun Etat régi par une religion, et qui n’existeront que des siècles plus tard au sein d’Etats laïcs : la liberté religieuse et la citoyenneté égalitaire.
Dans son livre, The World’s Religions, Huston Smith dit au sujet de ce pacte : « Le Prophète (Muhammad) avait établi un document qui stipulait entre autres : les juifs et les chrétiens seront protégés de toutes insultes ou vexations, ils auront les mêmes droits que les musulmans à notre protection et services, en plus, ils pratiqueront leur religion aussi librement que les musulmans. »[2]
A propos de ce traité, Marcel Boisard dit : « Le traité que Mohammed passa lors de son arrivée à Médine, avec les douze tribus arabes et les dix juives de la ville, est du plus haut intérêt. Il a pu être considéré comme « la première constitution écrite du monde » … Les juifs et les infidèles de Médine furent acceptés à condition de cesser tous rapports avec les ennemis de l’Islam. Les juifs purent conserver leur religion et bénéficier de droits individuels égaux à ceux des musulmans. Ils avaient accepté l’autorité de Mohammed qui détenait le commandement militaire exclusif et pouvait juger de leurs différends en dernière instance, sur la base de la législation biblique… En termes modernes, ils étaient autonomes sur le plan interne. »[3]
La diversité religieuse au sein de la société musulmane est donc une vérité incontestée et incontestable.
Droits des minorités non-musulmanes dans une société musulmane
Les non-musulmans résidant au sein de la société musulmane sont appelés par usage dhimmîs ou les gens de la dhimma (ahl adh-dhimma).
Le terme arabe dhimma signifie pacte, engagement, garantie ou protection. Ils sont ainsi appelés dhimmîs car ils sont bénéficiaires du pacte que Dieu, le Messager de Dieu (ﷺ) et de l’ensemble des musulmans qui leur garantit de vivre en sécurité dans la société musulmane sous la protection de l’Etat musulman. Les dhimmîs ou les gens de la dhimma correspondent tout simplement à la minorité protégée [4].
Ce pacte de protection garantit aux non-musulmans vivant dans la société musulmane plusieurs droits. La règle en la matière est qu’ils ont les mêmes droits que les musulmans.
Le droit à la protection
Ce droit comprend leur protection de toute agression extérieure et de toute injustice intérieure.
Dans son livre al-furûq, le savant malikite al-Qarâfî relate la parole d’Ibn Hazm qui dit : « Si l’ennemi se rendait dans nos contrées dans le but de s’en prendre aux bénéficiaires du pacte, il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour le combattre et de mourir pour cela, afin de protéger quiconque bénéficie du pacte de Dieu et du Messager (ﷺ). »[5]
Lorsque les mongols envahirent le Shâm[6], Ibn Taymiya se rendit auprès du général Kutlushâh (Coltesse) pour négocier la libération des captifs. Le chef mongol accepta de libérer les musulmans mais refusa de libérer les non-musulmans. Ibn Taymiya dit alors : « Nous ne pouvons accepter que la libération de tous les captifs juifs et chrétiens car ils sont sous notre protection. Nous n’abandonnerons aucun captif, qu’il soit dhimmi ou musulman ». Devant l’insistance d’Ibn Taymiya, le chef mongol finit par libérer tous les captifs.
Quant à leur protection contre toute injustice intérieure, le Prophète (ﷺ) dit : « Celui qui opprime un mu’âhid (bénéficiaire du pacte) ou lèse son droit ou lui impose une tâche au-dessus de ses forces, ou lui extorque quelque chose, je serai son adversaire le Jour de la Résurrection »[7], « Je serai l’adversaire de quiconque nuit à un dhimmî, et quiconque m’aura comme adversaire, je triompherai de lui le Jour de la Résurrection »[8], « Quiconque nuit à un dhimmî me nuit, et quiconque me nuit, nuit à Dieu. »[9]
‘Alî ibn Abî Tâlib dit : « Ils n’ont payé le tribut (jizya)[10] qu’afin que leurs biens soient comme nos biens, et leurs vies comme nos vies. »[11]
Tous les savants musulmans, de toutes les écoles, affirment qu’il est du devoir des musulmans de repousser des non-musulmans vivant en terre d’islam, toute injustice et de les protéger, car en leur accordant la protection (dhimma), les musulmans se sont engagés à les défendre contre l’injustice, et par ce pacte, ils sont devenus du nombre des gens de la demeure de l’islam. En termes modernes, ils sont devenus des citoyens. Certains vont même jusqu’à proclamer que l’injustice à l’encontre du non-musulman est pire que l’injustice contre un musulman.
Protection de leur vie et de leur intégrité physique
La vie du non-musulman est sacrée, de l’avis consensuel de tous les savants musulmans à travers le temps. Il est donc formellement interdit de porter atteinte à leur intégrité physique. Le Prophète (ﷺ) dit : « Quiconque assassine un mu’âhid (bénéficiaire du pacte) ne sentira pas le parfum du Paradis, bien que le parfum du Paradis se sente à une distance parcourue en 40 ans. »[12] Au vue de cette menace, les savants musulmans s’accordent à considérer que le fait de tuer un non-musulman vivant dans la société musulmane constitue un péché capital.
Protection de leurs biens
Le Prophète (ﷺ) conclut avec les Najranites un accord en vertu duquel ils étaient considérés comme des citoyens de l’Etat musulman. Les clauses de l’accord stipulaient que « les chrétiens de Najrân sont sous la protection de Dieu et de Muhammad le Prophète (ﷺ), qui s’étend à leurs personnes, leur religion, leur terre, leurs propriétés, leurs absents, leurs présents, leur clan et ceux qui les suivent. »[13]
Les musulmans ont respecté ce droit si scrupuleusement et si religieusement au point de respecter ce qui est considéré par les non-musulmans comme un bien estimable, quand bien même celui-ci n’a aucune valeur chez les musulmans, comme l’alcool et le porc. Ainsi, si un musulman cause un dégât à l’un de ces deux biens appartenant à un non-musulman, il devra le dédommager.
Protection de leur honneur
L’islam protège l’honneur et la dignité du non-musulman dans la société musulmane au même titre que le musulman. Il est donc interdit de porter atteinte à la dignité du non-musulman par l’insulte, la calomnie, les fausses accusations, la médisance ou par des remarques désobligeantes portant sur son origine, sa croyance ou sa manière de pratiquer. Al-Qarâfî dit dans son livre al-furûq : « Le pacte de protection leur garantit de notre part des droits, car ils vivent à nos côtés et sous notre protection conformément à notre engagement envers eux et selon le pacte de Dieu, du Messager (ﷺ) et de l’islam. Ainsi, quiconque les agresse ne serait-ce que par une parole désobligeante ou par une médisance, viole le pacte de Dieu, de Son Messager (ﷺ) et de l’islam. »[14]
Dans ad-durr al-mukhtâr, un livre référent de l’école hanafite, on y trouve : « S’abstenir de nuire au non-musulman vivant parmi les musulmans (dhimmî) est un devoir. La médisance à son égard est illicite tout comme le musulman ». Ibn ‘Âbidîn commente ceci en disant : « car par le pacte de protection, il a des droits équivalents aux nôtres. Ainsi, si la médisance à l’égard du musulman est illicite, la médisance à son égard l’est également. Ils (les savants) disent même que l’injustice à l’encontre du non-musulman est plus grave. »[15]
L’assistance en cas d’invalidité, de vieillesse et de pauvreté
L’islam garantit aux non-musulmans vivant dans une société musulmane une vie digne et convenable à l’abri du besoin.
Abû ’Ubayd relate dans son ouvrage al-amwâl, d’après Sa’îd ibn al-Musayyab, que le Messager de Dieu (ﷺ) fit une aumône à une famille juive qu’elle continua à percevoir après la mort du Prophète (ﷺ).
Le Calife ‘Umar ibn al-Khattâb ordonna qu’une allocation permanente puisée de la trésorerie musulmane soit versée à un juif et à ses enfants, puis il récita le verset coranique : « Les aumônes ne sont destinées qu’aux pauvres et aux nécessiteux » (9 : 60), et dit : « et celui-ci fait partie des nécessiteux parmi les gens du Livre. »[16]
Il aperçut un jour, un vieux juif mendier. Il lui en demanda la raison. Il apprit alors que la vieillesse et le besoin l’y avaient poussé. ‘Umar le conduisit auprès du responsable de la trésorerie musulmane et ordonna à ce dernier de lui verser, ainsi qu’en gens de condition similaire, une allocation qui garantirait leurs besoins et leur droit à une vie convenable. Puis il dit : « Nous ne serions pas justes envers lui en l’abandonnant maintenant qu’il est devenu vieux alors que nous lui faisions payer le tribut (jizya) lorsqu’il était jeûne. »[17]
Sur son chemin vers le Shâm, il vit des lépreux chrétiens. Il ordonna de leur octroyer une allocation versée de la trésorerie musulmane.
Bien que mortellement poignardé par un dhimmî appelé Abû Lu-lu-a al-Majûsî (un zoroastrien), cela ne l’empêcha pas d’adresser, sur son lit de mort, des recommandations au calife qui lui succèdera en ces termes : « Je recommande au calife après moi d’être bon envers les dhimmîs, d’honorer leur pacte, de combattre leurs agresseurs et ne pas leur assigner des tâches qu’ils ne peuvent supporter. »[18]
Aux habitants de al-Hîra, en Iraq, Khâlid ibn al-Walîd consigna par écrit : « Tout homme âgé n’ayant plus la force de travailler, ou ayant été atteint d’une quelconque maladie, ou ayant perdu sa fortune et tombé dans le besoin au point que ses coreligionnaires lui fassent l’aumône, ceux-là seront exonérés du tribut (jizya) et vivront à la charge de la trésorerie musulmane, eux et les individus dont ils ont la charge ».
La liberté religieuse
L’islam garantit aux non-musulmans vivant au sein de la société musulmane une liberté religieuse totale en leur permettant de rester fidèles à leur religion. Nul ne peut être contraint à renoncer à sa foi. Toute pression, qu’elle soit physique et psychologique, est prohibée. Le principe étant le verset coranique : « Nulle contrainte en matière de religion » (2 : 256).
L’histoire nous démontre qu’aucun peuple musulman n’a essayé d’imposer l’islam aux minorités non-musulmanes.
De même, l’islam protège les lieux de culte des adeptes d’autres religions ainsi que leurs rites cultuels. Dans le pacte ratifié avec les habitants de Jérusalem, le Calife ‘Umar ibn al-Khattâb y consigna leur liberté religieuse et la sacralité de leurs temples : « Voilà ce que le serviteur de Dieu, ‘Umar ibn al-Khattâb, Commandeur des croyants, accorde aux habitants de Jérusalem comme sécurité : il leur accorde la sécurité pour leurs vies, leurs biens, leurs églises, leurs croix et l’ensemble de leur dogme. Leurs églises ne peuvent être habitées, ni démolies, ni profanées. Il en est de même pour l’ensemble des propriétés des églises, de leurs croix et de leurs biens. Ils ne seront pas contraints à renoncer à leur religion. Aucune personne parmi eux ne sera opprimée ».
Dans le pacte ratifié avec les habitants de ‘Ânât, Khâlid ibn al-Walîd, sous le califat d’Abû Bakr, déclara : « Il leur appartient de faire retentir leurs cloches à toute heure, de nuit comme de jour, sauf aux moments des Prières (musulmanes), et de sortir leurs croix pendant leurs jours de fêtes. »[19]
Par ailleurs, l’islam permet la construction d’églises, de synagogues et de temples en terre musulmane. C’est ce qui était pratiqué dès les débuts de l’ère musulmane. Plusieurs églises furent construites en Egypte durant le premier siècle de l’Hégire dont la Cathédrale Saint-Marc d’Alexandrie construite en l’an 39 et l’an 56 de l’Hégire. La première église construite au Caire le fut sous le gouvernorat de Maslama ibn Mukhallad en Egypte entre l’an 47 et 67 de l’Hégire. Lorsque ‘Abd al-‘Azîz ibn Marwân, gouverneur d’Eypte, construisit la ville de Helwan, il y autorisa la construction d’une église et de deux monastères. Mu’âwiyah ibn Abî Sufyân finança entièrement, de ses biens personnels, la reconstruction de cathédrale d’ar-Ruhâ (Edessa) suite à sa destruction causée par un tremblement de terre.
La tolérance dont fait preuve l’islam à l’égard des non-musulmans vivant au sein d’une société musulmane est telle qu’il accorde au non-musulman la liberté religieuse sans le contraindre à renoncer à une pratique qu’il considère obligatoire, ni à faire une chose qu’il considère illicite. Ainsi, si le juif croit qu’il est interdit de travailler le jour du « sabbat », il n’est pas permis de le charger d’un travail ce jour-là, car il ne pourra le faire sans avoir le sentiment de commettre un interdit. De même, si le chrétien considère obligatoire de se rendre à l’église le dimanche, il n’est pas permis de l’en empêcher ce jour-là.
La tolérance dont fait preuve l’islam à l’égard des non-musulmans vivant au sein d’une société musulmane est telle qu’il n’impose au non-musulman aucune restriction dans ce qu’il considère permis dans sa religion, quand bien même ceci est considéré comme illicite en islam.
D’ailleurs, les non-musulmans jouissaient d’une autonomie juridictionnelle.
Liberté de travailler
L’historien Adam Metz dit à ce sujet : « Rien dans la législation musulmane n’empêchait les non-musulmans vivant au sein de la société musulmane d’exercer un métier. Au contraire, ils étaient fortement présents dans les métiers rentables. Ils étaient banquiers, commerçants, propriétaires de grandes fermes et médecins. Ils s’organisaient de manière à ce que les plus grands banquiers du Sham soient juifs, alors que la plupart des médecins et des secrétaires d’état étaient chrétiens. Le chef des chrétiens était le médecin du calife, et les notables juifs faisaient partie de sa cour… »[20]
Ils avaient également accès à la fonction publique. Plusieurs non-musulmans ont atteint les plus hautes fonctions de l’Etat. Ainsi, le secrétaire d’Etat de Mu’âwiyah était chrétien. L’historien Tritton dit : « Il faut reconnaître que l’attitude des gouverneurs (à l’égard de la minorité non musulmane) était souvent meilleure que ce qu’imposait la loi. La multiplication d’édification d’églises et de temples au sein de villes purement arabes en est la preuve. On trouvait toujours des juifs et des chrétiens dans la fonction publique. Plus encore, ils occupaient parfois les plus hauts postes. »[21]
L’historien Adam Metz dit : « L’une des choses qui nous étonne le plus c’est le grand nombre de grands fonctionnaires non musulmans dans l’état islamique. C’était à croire que les chrétiens étaient ceux qui gouvernaient les musulmans en terre d’islam… »[22]
Voici les quelques droits fondamentaux dont jouissent les non-musulmans vivant dans la société musulmane et qui garantissent une coexistence pacifique dans un respect mutuel. Ils sont à même de rétablir les vérités historiques très souvent dénaturées dans le but de présenter l’islam comme une religion intrinsèquement intolérante qui ne reconnaîtrait pas la liberté religieuse, qui réduirait le non-musulman en terre d’islam à l’état de servitude, dépourvu de tout droit, opprimé par le fanatisme de la religion dominante.
Moncef Zenati
[1] – Cf Muhammad, l’ultime joyau de la prophétie d’al-Mubârakfûrî p 270-271, Le Prophète de l’islam : sa vie, son œuvre de Muhammad Hamîdullâh, et at-târîkh al-islâmî, de ‘Imâd ad-Dîn Khalîl.
[2] – Huston Smith – The World’s Religions – Ed. Harper Collins, 1991, p 256.
[3] – Marcel A. Boisard, l’Humanisme de l’Islam, p 145-146.
[4] – Nous sommes loin de la définition que certains détracteurs de l’islam donnent à ce mot présentant les minorités musulmanes comme des citoyens de seconde zone qui seraient réduits à l’état de « dhimmitude » qui signifierait pour eux, servitude !!!
[5] – al-furûq 3/14 – 15.
[6] – Région englobant la Syrie, la Palestine, le Liban et la Jordanie.
[7] – Rapporté par Abû Dâwûd et al-Bayhaqî.
[8] – Rapporté par al-Khatîb.
[9] – Rapporté par at-Tabarânî.
[10] – Cet impôt ne concernait que les non-musulmans capables de prendre les armes. Les moines, les esclaves, les vieillards, les infirmes, les aveugles et les pauvres étaient exonérés de la zakât. En retour, les dhimmîs étaient exemptés du service militaire, et dispensés de la zakât. Le montant de ce tribut était dérisoire par rapport à la taxe imposée par leurs coreligionnaires byzantins.
[11] – al-mughnî d’Ibn Qudâma 8/445.
[12] – Rapporté par al-Bukhârî et Ahmad.
[13] – fiqh as-sîra de Muhammad al-Ghazâlî et al-kharâj d’Abû Yûsuf.
[14] – al-furûq 3/14.
[15] – hâshiyat ibn ‘Âbidîn 3/344 – 346.
[16] – al-kharâj d’Abû Yûsuf, p 26.
[17] – Ibid, p 144.
[18] – Rapporté par al-Bukhârî.
[19] – Ibid p 146.
[20] – Cf La civilisation islamique au quatrième siècle de l’Hégire.
[21] – ghayrul-muslimîn fil-mujtama’il-islâmî de Dr. Yûsuf al-Qaradâwî p 56.
[22] – Ibid, p 24.