Le Coran incite l’être humain à penser et à utiliser sa raison afin de parvenir aux vérités et aux résultats lui permettant de croire avec conviction. Il invite les gens à méditer, réfléchir, raisonner, comprendre et observer en toute liberté : « Nous vous avons exposé les preuves clairement afin que vous raisonniez. » (57 : 17), « Nous avons exposé les preuves pour ceux qui comprennent. » (6 : 98), « Ne méditent-ils pas sur le Coran ? Ou y a-t-il des cadenas sur leurs cœurs ? » (47 : 24), « Il y a sur terre des preuves pour ceux qui croient avec certitude, ainsi qu’en vous-mêmes. N’observez-vous donc pas ? » (51 : 20 – 21).
L’expression « pour ceux qui croient avec certitude » indique qu’on ne pourrait tirer profit des signes cosmiques, et que ces signes ne pourraient mener vers la guidance, que par la quête du savoir et de la connaissance, à travers la recherche et la réflexion.
L’islam garantit la liberté de pensée car la foi musulmane ne peut être que raisonnée, fondée sur l’observation de l’Univers, afin que l’être humain suive la guidance divine à laquelle il est parvenu avec conviction. Or, on ne pourrait étudier cet Univers d’une manière scientifique que si la liberté de pensée est intacte. L’individu a donc droit à cette liberté qui l’a affranchi des illusions et des superstitions, et empêché d’être le prisonnier de l’imitation aveugle.
Par ailleurs, à chaque fois que le Coran cite la raison, c’est pour rappeler son importance et la nécessité de s’y référer. La « raison » (‘aql) sous ses formes dérivées, ainsi que les termes associés comme compréhension (fiqh), science (‘ilm) et réflexion (tafkîr) ont été cités dans des centaines de versets :
- Le terme raison (‘aql) et ses dérivés ont été cités 48 fois.
- Le terme science (‘ilm) et ses dérivés ont été cités 866 fois.
- Le terme compréhension (fiqh) et ses dérivés ont été cités 20 fois.
- Le terme pensée (fikr) et ses dérivés ont été cités 19 fois.
- La prise de conscience (wa’y) et ses dérivés ont été cités 4 fois.
Ainsi, l’islam affirme qu’il appartient à l’être humain de penser ce qu’il veut, comme il veut, sans craindre d’être sanctionné pour ce qu’il pense. La liberté de penser, de réfléchir, d’élaborer des idées est formellement établie, et cette liberté englobe le musulman et le non-musulman.
La liberté de pensée est donc garantie et l’Etat se doit de la protéger contre toute transgression, de même que la société musulmane est garante de cette liberté pour permettre aux individus de distinguer entre le vrai et le faux, entre l’utile et le nuisible, afin de parvenir à la vérité, réaliser l’intérêt de la société et de la vie culturelle qui régressent à l’ombre de la dictature sous toutes ses formes.
Ceci dit, la liberté de pensée est conditionnée par ce qui suit :
- Ne pas méditer sur l’entité divine car il s’agit d’un domaine inaccessible à la raison.
- Interdiction de la pensée qui sape les fondements de l’Etat et remet en question ses éléments constitutionnels.
Le Coran incite l’être humain à penser et à raisonner en utilisant plusieurs manières :
- Il incite les gens à utiliser la raison afin de réfléchir sur la foi et sur Son Messager (ﷺ) : « Dis : « Je vous exhorte seulement à une chose : que pour Allah vous vous leviez, par deux ou isolément, et qu’ensuite vous réfléchissiez. » » (34 : 46).
En expliquant la nature du message et de la personne du Messager (ﷺ), le Coran dit : « Dis-[leur] : « Je ne vous dis pas que je détiens les trésors d’Allah, ni que je connais l’Inconnaissable, et je ne vous dis pas que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’est révélé. » Dis : « Est-ce que sont égaux l’aveugle et celui qui voit ? Ne réfléchissez-vous donc pas ? » » (6 : 50).
Il attire l’attention sur les secrets des différentes prescriptions juridiques cultuelles et sociales en disant : « Ils t’interrogent sur le vin et les jeux de hasard. Dis : « Dans les deux il y a un grand péché et quelques avantages pour les gens ; mais dans les deux, le péché est plus grand que l’utilité. » Et ils t’interrogent : « Que doit-on dépenser (en charité) ? » Dis : « L’excédent de vos biens. » Ainsi, Allah vous explique Ses versets afin que vous méditiez. » (2 : 219).
Il dit en faisant prendre conscience à l’être humain que cet Univers a été créé pour lui et lui a assujetti tout ce qu’il contient : « Et Il vous a assujetti tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, le tout venant de Lui. Il y a là des signes pour des gens qui réfléchissent. » (45 : 13). - Le Coran incite l’être humain à utiliser la raison afin de réfléchir sur les choses que les yeux considèrent comme banales, ainsi que sur les phénomènes du quotidien, afin de se questionner sur la cause de leur existence, et sur l’ordre contenu dans toutes ces choses suggérant un ordonnateur : « Dis : « Regardez ce qui est dans les cieux et sur la terre. » » (10 : 101), « N’ont-ils pas médité en eux-mêmes ? Allah n’a créé les cieux et la terre et ce qui est entre eux, qu’à juste raison et pour un terme fixé. » (30 : 8), « Ne considèrent-ils donc pas les chameaux, comment ils ont été créés, et le ciel comment il est élevé, et les montagnes comment elles sont dressées et la terre comment elle est nivelée ? » (88 : 17 – 20).
- Le Coran incite l’être humain à penser et blâme ceux qui n’utilisent pas leur raison et leur faculté de penser, finissant par ressembler aux animaux – car ce sont bien la raison et la faculté de penser qui différencient l’homme des animaux. Dieu dit : « Nous avons destiné beaucoup de djinns et d’hommes pour l’Enfer. Ils ont des cœurs, mais ne comprennent pas. Ils ont des yeux, mais ne voient pas. Ils ont des oreilles, mais n’entendent pas. Ceux-là sont comme les bestiaux, même plus égarés encore. Tels sont les insouciants. » (7 : 179).
- Le Coran met en garde contre tous les obstacles qui empêchent de penser et ordonne de s’en écarter. Il réfute le suivisme et l’imitation aveugle aux niveaux familial et sociétal établissant ainsi la personnalité de chaque individu et son indépendance intellectuelle. Dieu dit : « Et quand on leur dit : « Suivez ce qu’Allah a fait descendre », ils disent : « Non, mais nous suivrons les coutumes de nos ancêtres. » – Quoi ! et si leurs ancêtres n’avaient rien raisonné et s’ils n’avaient pas été dans la bonne direction ? » (2 : 170). Le Coran considère que le fait de suivre les anciens et les ancêtres uniquement parce qu’ils sont nos ancêtres est une erreur. Il appelle à la libération de cette imitation aveugle des anciens et des ancêtres qui a figé la raison, et à s’orienter vers la pensée libre fondée sur les arguments et les preuves.
Dieu dit également : « Mais plutôt ils dirent : « Nous avons trouvé nos ancêtres sur une religion, et nous nous guidons sur leurs traces. Et c’est ainsi que Nous n’avons pas envoyé avant toi d’avertisseur en une cité, sans que ses gens aisés n’aient dit : « Nous avons trouvé nos ancêtres sur une religion et nous suivons leurs traces. » Il dit : « Même si je viens à vous avec une meilleure direction que celle sur laquelle vous avez trouvé vos ancêtres ? » » (43 : 22 – 24). Les gens qui vivent dans le luxe refusent habituellement de réfléchir sur les fondements sociaux, économiques et religieux, car il s’agit d’une classe qui se nourrit de la situation existante et qui ne songe pas au changement.
Le Coran attire également l’attention sur un autre obstacle qui empêche la pensée et la réflexion : la tendance systématique à suivre les meneurs, les faiseurs d’opinion, et les évènements sans esprit critique. Dieu dit : « Et ils dirent : « Seigneur, nous avons obéi à nos chefs et à nos grands. C’est donc eux qui nous ont égarés du Sentier. » (33 : 67).
Le Coran interdit également le fait d’imiter aveuglément la masse populaire : « Dis : Je vous exhorte seulement à une chose : que pour Allah vous vous leviez, par deux ou isolément, et qu’ensuite vous réfléchissiez » (34 : 46). C’est-à-dire « lève-toi en toute sincérité, animé par la volonté de chercher la vérité, avec un ami en qui tu as confiance, avec qui tu pourras discuter en toute tranquillité, ou seul, calmement, puis réfléchis et fais-toi ta propre idée loin de l’influence de la pensée collective ». - Le Coran a utilisé la méthode de la comparaison entre la chose et son contraire afin de créer cette capacité de comparer et de penser d’une manière saine. Dieu dit : « Dis : « Sont-ils égaux, l’aveugle et celui qui voit ? Ou sont-elles égales, les ténèbres et la lumière ? » (13 : 16), « N’as-tu pas vu comment Allah propose en parabole une bonne parole pareille à un bel arbre dont la racine est ferme et la ramure s’élançant dans le ciel ? Il donne à tout instant ses fruits, par la grâce de son Seigneur. Allah propose des paraboles à l’intention des gens afin qu’ils s’exhortent. Et une mauvaise parole est pareille à un mauvais arbre, déraciné de la surface de la terre et qui n’a point de stabilité. » (14 : 24 – 26).
- Le Coran a accordé une place particulière à ceux qui pensent, réfléchissent et raisonnent jusqu’à ce que leur pensée devienne une science utile à l’homme. Il y a en cela une invitation à penser, et à respecter la raison humaine qui se trouve propulsée vers les plus hauts degrés du savoir : « Allah élèvera en degrés ceux d’entre vous qui auront cru et ceux qui auront reçu le savoir. » (58 : 11).
- Le Coran a libéré la raison des obstacles psychologiques qui entravent la pensée objective et libre. C’est pourquoi il a interdit de suivre les passions en succombant aux désirs de l’égo et aux sentiments d’amour et de haine, ou en étant sous l’emprise du chauvinisme pour une idée, une idéologie, une ethnie… Tout ceci fige la pensée, lui fait perdre son objectivité et l’oriente vers ce que tracent les passions pour émettre des idées qui leur conviennent, même si elles sont nocives en soi. Dieu dit : « Juge donc en toute équité parmi les gens et ne suis pas la passion : sinon elle t’égarera du sentier d’Allah. » (38 : 26), « Ne suivez donc pas les passions, afin de ne pas dévier de la justice. » (4 : 135). Les deux versets et d’autres indiquent la nécessité de libérer la pensée de l’emprise des passions et des désirs qui orientent la réflexion vers ce qu’ils dictent et non pas vers ce qu’exige la raison. Ces passions qui agissent de l’intérieur de l’être humain confisquent sa liberté de penser et de croire. C’est pourquoi le Coran blâme ceux qui font de leur passion leur divinité, se soumettant à tout ce qu’elle dicte : « Ne vois-tu pas celui qui a fait de sa passion sa divinité ? Est-ce à toi d’être un garant pour lui ? » (25 : 43).
C’est également dans ce sens que le Coran blâme ceux qui soumettent leur raison à un facteur influent extérieur et suivent ce qu’il leur dicte, perdant ainsi leur liberté de penser, et par conséquent, leur liberté de croire. Ce facteur influent qui domine leur raison peut être les ancêtres, les hommes religieux, les meneurs… : « Nous avons trouvé nos ancêtres sur une religion et nous suivons leurs traces. » (43 : 23), « Ils ont pris leurs rabbins et leurs moines comme Seigneurs en dehors d’Allah » (9 : 31). Les versets ont reproché à tous ces gens le fait d’avoir livré leur raison à une autorité étrangère qui leur dicte les éléments de leur croyance au lieu qu’elle soit le fruit de leur liberté de penser et de croire.
Lorsque l’homme se démet de sa liberté de penser et de croire, il ne pourra invoquer, pour fuir sa responsabilité, le fait d’avoir été sous l’emprise d’un facteur influent étranger, car sa liberté est inscrite dans sa nature première (fitra) et c’est lui qui s’est exposé à cette dominance. Il devra donc assumer la responsabilité de l’abandon de cette liberté de penser qui aboutit à la liberté de croire. C’est dans ce sens que le Coran décrit la discussion entre ceux qui se sont démis de leur liberté et celui à qui ils ont donné le pouvoir de les influencer : « Et quand tout sera accompli, le Diable dira : « Certes, Allah vous avait fait une promesse de vérité ; tandis que moi, je vous ai fait une promesse que je n’ai pas tenue. Je n’avais aucune autorité sur vous si ce n’est que je vous ai appelés, et que vous m’avez répondu. Ne me faites donc pas de reproches ; mais faites-en à vous-mêmes. » » (14 : 22). Ils assument donc la responsabilité aussi bien de la mise en application de la liberté de pensée que du renoncement à celle-ci.
La liberté de la science, de l’enseignement, d’écrire et de pensée s’est manifestée de la plus belle des façons pendant les trois premiers siècles de l’histoire de l’Islam. En effet, les savants ont diffusé publiquement leurs avis, leurs écoles et leur science, et les uns ont répondu aux arguments des autres sans animosité ni rancœur. On pouvait voir Wâsil ibn ‘Atâ quitter le cercle de son maître al-Hasan al-Basrî à cause d’une divergence de vue, et fonder son propre cercle dans la même mosquée sans reproche ni amertume. Lorsque le Calife Abû Ja’far al-Mansûr a voulu envisager d’imposer le Muwatta comme la seule et unique source législative générale, l’imâm Mâlik a refusé en répondant au Calife en disant : « Les compagnons du Prophète (ﷺ) se sont dispersés dans le pays, et chacun d’eux jugeait, dans la ville où il se trouvait, selon sa propre opinion ».
Moncef Zenati