Une telle question fut posée à cheikh Youssef al-Qaradawi au sujet des intérêts bancaires.
Il dit : « Quant aux intérêts bancaires accumulés, leur cas est identique au cas de tout bien acquis d’une manière illicite. Il n’est pas permis à leur acquéreur d’en tirer profit car en les utilisant pour son profit personnel, il aura consommé un produit illicite et ce, qu’il en tire profit comme nourriture, boisson, vêtements, logement ou acquittement de dette envers un musulman ou un non-musulman, que la dette soit équitable ou injuste, y compris le paiement des impôts, mêmes injustes, aux différents Etats, car de toute façon c’est lui qui en est le bénéficiaire, il n’est donc pas permis de les utiliser dans toutes ces choses.
De même, et à plus forte raison, il n’est pas permis de les utiliser dans les choses méprisables, même si j’ai entendu certains savants du Golf permettre l’utilisation des intérêts dans ce genre de choses comme pour la construction des toilettes ou de toute chose semblable qui manque de propreté.
Il s’agit d’une « fatwa » étonnante qui n’est pas fondée sur une compréhension saine, car finalement c’est la personne qui est bénéficiaire de cet argent illicite, or, il n’est pas permis à la personne de tirer profit de l’argent illicite ni pour son propre compte ni pour sa famille sauf si elle est pauvre ou endettée de manière à faire partie des bénéficiaires de la Zakat.
Quant au fait de laisser les intérêts aux banques, ceci n’est permis en aucun cas car si la banque les prend pour son compte, ceci revient à renforcer cette banque usurière et à l’assister dans la poursuite de sa stratégie. Il s‘agit donc d’encourager la désobéissance, or, l’encouragement de l’illicite est illicite comme nous l’avons exposé dans le premier chapitre de notre livre « Le licite et l’illicite en islam ».
En résumé, le fait de laisser les intérêts aux banques est illicite. Cette décision émane de plusieurs comités, en particulier, du deuxième congrès des institutions financières islamiques tenu au Koweït.
Ce qui est permis dans ce cas, c’est de donner ces intérêts ainsi que tout argent dont la provenance est illicite dans les voies du bien telles que les pauvres, les orphelins, les gens du passage, la lutte dans la voie de Dieu, la diffusion du message de l’islam, la construction des mosquées et des centres islamiques, la formation des éducateurs et des prédicateurs, l’édition des livres islamiques et toutes sortes de bonnes œuvres.
Ce sujet a été traité dans l’un des comités du droit musulman et certains ont émis une réserve quant au fait de donner ces intérêts aux pauvres et aux projets caritatifs car comment nourrir les pauvres d’argent illicite ? Comment accepter pour les pauvres ou autres ce que nous n’acceptons pas pour nous-mêmes ?
En vérité, cet argent est illicite pour celui qui l’a acquis d’une manière illicite. Il est cependant, licite et pur pour les pauvres et pour les bonnes œuvres. Il est illicite pour l’acquéreur, licite pour ces voies de bienfaisance. En effet, l’argent n’est pas illicite en soi, il devient illicite pour une personne en particulier pour une raison particulière. Par ailleurs, on peut rationnellement disposer de cet argent illicite de l’une des quatre façons suivantes.
La première : utiliser cet argent pour soi-même ou pour ce dont on a la charge. Ceci n’est pas permis comme nous l’avons exposé.
La deuxième : le laisser aux banques usurières. Ceci n’est pas permis non plus comme nous l’avons exposé.
La troisième : s’en débarrasser en le détruisant. Ceci est l’avis de certains scrupuleux parmi les pieux-prédécesseurs. Dans son livre « la revivification des sciences de la religion », l’imam al-Ghazali réfute cet avis en évoquant le fait qu’il nous est interdit de gaspiller l’argent.
La quatrième : le dépenser dans les voies de la bienfaisance telles que les pauvres, les orphelins, les gens du passage et les institutions caritatives musulmanes, et c’est ce qui incombe de faire.
J’aimerais préciser qu’il ne s’agit pas ici d’aumône pour qu’on nous dise : « Dieu est bon et n’accepte que ce qui est bon »[1]. Il s’agit de dépenser l’argent illicite dans sa seule voie possible. Aussi, la personne qui donne cet argent ne fait pas une aumône, elle est simplement l’intermédiaire qui permet de faire parvenir cet argent aux voies de bienfaisance. Il est possible de dire : il s’agit d’une aumône donnée par l’acquéreur de l’argent au nom du véritable propriétaire.
J’ai entendu certains dire que ces intérêts bancaires appartiennent, en fait, aux emprunteurs qui ont contracté un emprunt à la banque, le principe est donc de leur restituer cet argent.
Or, en réalité, les emprunteurs n’ont plus de lien avec ces intérêts conformément au contrat conclu avec la banque. C’est pour cette raison qu’ils sont considérés comme faisant partie des biens qui n’ont pas de propriétaire.
L’imam al-Ghazali a abordé ce type d’argent qui appartient à un propriétaire qui n’est pas identifiable et qu’on ne peut espérer trouver. Il dit : « On ne peut le restituer à son propriétaire. On s’abstient alors d’agir jusqu’à l’élucidation de la question, peut-être est-il impossible de le restituer car il appartient à plusieurs propriétaires, comme le fait de dérober une partie du butin. Cet argent doit être donné en aumône au nom de son propriétaire ».
Al-Ghazali dit : « Si l’on dit : quelle est la preuve qui permet de donner ce qui est illicite en aumône ? Comment faire une aumône de ce qu’on ne possède pas ? D’ailleurs, certains estiment que ceci n’est pas permis car il s’agit d’argent illicite. On rapporte qu’al-Foudayl a eu entre les mains deux dirhams. Lorsqu’il apprit que leur provenance n’était pas licite, il les jeta entre les pierres et dit : « Je ne donne en aumône que ce qui est bon, et je ne peux accepter pour autrui ce que je n’accepte pas pour moi-même »
Nous disons alors : certes, ceci est probable, mais nous avons opté pour l’avis contraire conformément à l’information prophétique « khabar », à l’information traditionnelle « athar » et au raisonnement par analogie « qiyas ».
L’information prophétique
Le Messager de Dieu (r) ordonna de donner en aumône l’agneau rôti qui lui fut présenté lorsqu’on l’informa qu’il était illicite. En effet, le Prophète (r) dit : « Nourrissez-en les captifs »[2]
Lorsque le verset : « Alif, lam, mim. Les byzantins ont été vaincus, dans le pays voisin, et après leur défaite ils seront les vainqueurs » (les byzantins : 1 – 3) fut révélé, les idolâtres l’accusèrent de mensonge et dirent aux compagnons : « Ne voyez-vous pas ce que dit votre compagnon. Il prétend que les byzantins vont vaincre » Abou Bakr fit alors un pari avec eux avec la permission du Messager de Dieu (r). Lorsque Dieu réalisa sa promesse, Abou Bakr apporta son gain et le Prophète (r) lui dit alors : « C’est illicite, donne-le en aumône ».
Les croyants se réjouirent de la victoire de Dieu. L’interdiction des jeux de hasard fut révélée après que le Messager de Dieu (r) ait autorisé Abou Bakr à parier avec les incroyants[3].
L’information traditionnelle
Al-Hassan dit au sujet du repentir concernant celui qui prend une partie du butin avant le partage : « Il le donne en aumône ».
On rapporte qu’un homme se permit de prendre cent dinars appartenant au butin. Puis, il se présenta devant son commandant pour les restituer mais ce dernier refusa de les prendre et lui dit : « Les gens se sont dispersés ».
Il se présenta à Mou’awiya (le calife) mais celui-ci refusa de les prendre. Il se présenta à un ascète qui lui dit : « Paie le cinquième à Mou’awiya (pour la trésorerie musulmane), et donne le reste en aumône » Lorsque Mou’awiya fut informé de ceci, il s’en voulu de ne pas y avoir pensé.
Ceci est l’avis d’Ahmed ibn Hanbal, d’al-Harith al-Mouhasibi et d’un certain nombre de savants spiritualistes.
Le raisonnement par analogie
C’est le fait de dire : cet argent, de deux choses l’une, soit il est perdu, soit il est donné pour un bien, étant donné qu’on est désespéré de trouver son propriétaire. On sait alors nécessairement que le dépenser dans le bien vaut mieux que de le jeter dans la mer.
En effet, si nous le jetons dans la mer nous aurons perdu l’occasion d’en tirer profit pour nous et pour son propriétaire, et il ne sera d’aucune utilité.
Par contre, si nous le mettons dans les mains d’un pauvre, il implorera Dieu pour son propriétaire qui en tirera une bénédiction grâce à son imploration, et le pauvre verra ses besoins satisfaits.
En outre, l’idée que le propriétaire soit récompensé bien qu’il n’ait pas eu l’intention de faire une aumône ne doit être réprouvée car le hadith authentique dit : « Le semeur ou le planteur tirera une récompense de tout ce que les gens ou les oiseaux prennent de ses fruits ou de sa plantation »[4]
Quant au fait de dire : nous ne donnons en aumône que ce qui est pur et bon, ceci est vrai si nous espérons la récompense de l’aumône pour nous-mêmes, or nous voulons, ici, nous débarrasser d’une injustice et non pas la récompense.
Aussi, nous avions le choix entre la perte et la donation, et nous avons privilégié la donation.
Certains diront, nous ne pouvons accepter pour les autres ce que nous n’acceptons pas pour nous-mêmes, et c’est vrai, mais cet argent est illicite pour nous, car nous n’en avons pas besoin, il est par contre licite pour le pauvre car les preuves juridiques le déclare licite, et si l’intérêt exige la licéité, il est obligatoire de déclarer sa licéité, et s’il devient licite, nous avons accepté pour lui le licite.
Nous disons : il lui appartient de le destiner à lui-même ou à sa famille si celui-ci est pauvre. En ce qui concerne les membres de sa famille, cela est évident car la pauvreté ne peut être écartée d’eux étant donné qu’ils font partie des siens, au contraire, ils sont ceux à qui il doit adresser son aumône en priorité.
En ce qui le concerne, il lui appartient d’utiliser cet argent en fonction de son besoin car lui aussi est pauvre, mais s’il le donne en aumône à un pauvre, ceci pourrait être permis, de même, si c’était lui le pauvre en question »[5]
Ici, une question peut être posée : est-ce que celui qui prélève les intérêts de la banque usurière pour en faire don dans les projets caritatifs mérite une récompense divine ?
La réponse est qu’il n’aura pas la récompense d’une aumône « sadaqa », mais il sera récompensé pour deux raisons.
La première : il s’est abstenu de cet argent illicite et s’est gardé de l’utiliser de n’importe quelle manière, et ceci est récompensé auprès de Dieu.
La deuxième : il fut un bon intermédiaire pour faire parvenir cet argent aux pauvres et aux associations musulmanes qui en tireront profit. Il sera récompensé pour cela, si Dieu le veut[6].
[1] Rapporté par Mouslim dans le chapitre de la Zakat (1015), par Ahmed dans le mousnad (8348) et par at-Tirmidhi dans le chapitre de l’exégèse du Coran (2989) d’après Abou Hourayra
[2] Rapporté par Ahmed dans le mousnad (22509). Ses rapporteurs disent : sa chaîne de transmetteurs est forte et ses transmetteurs sont ceux du « valide-sûr » (çahih). Rapporté également par ad-Daraqotni dans « as-sounan al-koubra » dans le chapitre des captifs (4/285) d’après un médinois. Authentifié par al-Albani dans « as-sahiha » (754).
[3] Al-‘Iraqi dit dans sa vérification de « la revivification des sciences de la religion » : rapporté par al-Bayhaqi dans le chapitre des signes de la prophétie d’après le hadith d’Ibn ‘Abbas sans la mention que ceci fut avec la permission du Prophète (r) (2/110). Rapporté par Ahmed dans le mousnad (2495) sans la mention « C’est illicite, donna-le en aumône ». Il dit : « Sa chaîne de transmetteurs est valide-sûre selon les normes d’al-Boukhari et Mouslim. Rapporté par at-Tirmidhi dans le chapitre de l’exégèse du Coran (3193) et dit : « bon » (hasan) « isolé » (gharib). Rapporté par an-Nasa-y dans « al-koubra » dans le chapitre de l’exégèse (6/426), par at-Tabarani dans « al-kabir » (12/28) et par al-Hakim dans le chapitre de l’exégèse (2/445) qui l’a authentifié selon les normes d’al-Boukhari et Mouslim et adh-Dhahabi partage son avis. Authentifié par al-Albani dans « sahih at-Tirmidhi (2551)
[4] Il fait allusion au hadith relaté par Anas : « A chaque fois qu’un musulman plante un arbre ou sème des graines et qu’un homme, un oiseau ou une bête en mange, ce qui a été mangé lui sera compté comme une aumône » rapporté par al-Boukhari et Mouslim. Al-Boukhari le rapporte dans le chapitre du labour et du métayage (2320). Mouslim le rapporte dans le chapitre du métayage (1553). Rapporté par Ahmed dans le mousnad (13389), at-Tirmidhi (1382)
[5] « Revivification des sciences de la religion » (2/131 – 1323) éditions dar al-ma’rifa Beyrouth
[6] Tiré du site www.qaradawi.net