Par Mustapha az-Zarqâ [1]
Je ne trouve rien dans la divergence des savants de la sharî’a contemporains de plus étonnant que leur extrême divergence, qui n’a pas lieu d’être, sur la prise en compte du calcul astronomique, à notre époque, pour déterminer le début du mois lunaire. Oui, j’insiste sur « à notre époque », car, en effet, je ne m’étonne pas de la position négative des savants parmi nos prédécesseurs à l’égard de la prise en compte du calcul astronomique dans ce sujet. Au contraire, si je vivais à cette époque, j’aurais dit certainement la même chose. Par contre, je m’étonne de la position négative des hommes religieux à notre époque dont les savants ont exploré les horizons de l’espace et dont les réalisations les plus banales sont le fait d’avoir marché sur la lune, la mise des satellites sur orbites autour de la terre pour diverses raisons : scientifiques, militaires ou d’espionnage, puis la réalisation d’expéditions spatiales, la sortie des navettes spatiales dans l’espace au-delà de l’atmosphère, hors zone de la gravité terrestre, puis la création des stations spatiales orbitales…
Je suis sûr que si les savants parmi nos premiers prédécesseurs, qui ont refusé la prise en compte du calcul astronomique pour les raisons que j’évoquerai bientôt – en les citant – étaient aujourd’hui à notre époque, constatant les avancées de l’astronomie et la précision stupéfiante qu’elle a atteinte, ils auraient certainement changé d’avis.
Certains diront peut-être : La cause de la non-acceptation de la prise en compte du calcul astronomique pour la détermination des débuts des mois lunaires n’est pas le doute concernant l’exactitude et la précision du calcul astronomique, mais le fait que la législation, selon les dires de son Messager (ﷺ) ait lié la naissance de la nouvelle lune et le début des mois lunaires à la constatation visuelle et ce, à travers le hadîth authentique relaté d’après Ibn ‘Umar, que Dieu l’agrée : « Jeûnez quand vous voyez la nouvelle lune (de ramadan) et rompez le jeûne quand vous voyez la nouvelle lune (de shawwâl). Si la brume vous empêche de la voir, alors estimez-la ». Dans une autre version également authentique : « … complétez le mois de sha’bân à trente jours ». Ce hadîth est rapporté par al-Bukhârî et Muslim. Dans une version rapportée par Muslim : « Si la brume vous empêche de la voir, estimez à trente jours ». Cette version explique le sens de l’estimation mentionnée dans la première version.
Dans une autre version rapportée par al-Bukhârî, Muslim et an-Nasâ-î d’après Abû Hurayra, que Dieu l’agrée : « Si vous voyez la nouvelle lune, jeûnez, et si vous la voyez rompez le jeûne. Si la brume vous empêche de la voir, alors jeûnez trente jours ».
Toutes les versions relatées d’après le Prophète (ﷺ) à ce sujet ont lié le jeûne et la rupture du jeûne à la vision de la nouvelle lune. Quant à l’estimation en cas de l’impossibilité de la vision à cause de la brume, des nuages ou de toute autre cause, elle signifie : compléter le mois en cours – sha’bân ou ramadan – à trente jours. On ne peut donc juger qu’il contient vingt-neuf jours que par la constatation visuelle. Cela relève des actes cultuels dont les prescriptions sont fondées sur les textes sans considérer les raisons d’être et sans appliquer de raisonnement par analogie.
Voici l’argument de ceux qui n’acceptent pas la prise en compte du calcul astronomique pour la détermination des débuts des mois lunaires, même si le calcul astronomique atteint un niveau d’exactitude et de précision parvenant à la certitude grâce à ses moyens scientifiques.
Analyse et compréhension de la question aux niveaux rationnel et législatif
Nous disons à notre tour : tout cela est tout à fait admis pour nous et notoirement connu dans les règles de la législation et dans les fondements de notre droit musulman concernant les actes cultuels et cela est indiscutable. Mais cela concerne les textes qui nous parviennent et qui ne sont pas liés à une raison d’être ou à une cause particulière. En effet, si le texte relaté est lié à une raison d’être qui l’accompagne depuis sa source, les choses sont alors différentes et la raison d’être a un effet sur la compréhension du texte et l’application de la prescription en fonction de son existence ou de son absence, même si le sujet relève du culte.
Pour que l’attitude saine se manifeste à nous à ce sujet, nous disons : Ce hadîth prophétique précité n’est pas le seul texte à ce sujet. Il existe d’autres hadîths relatés d’une manière authentique d’après le Messager (ﷺ) qui expliquent la raison pour laquelle il a ordonné de considérer la vision de la nouvelle lune pour connaître le début du nouveau mois, qui implique les différentes prescriptions telles que le jeûne et autres.
En effet, l’imâm Muslim rapporte d’après Ummu Salama, que Dieu l’agrée, dans le livre du jeûne, au chapitre « Le jeûne à la vision de la nouvelle lune », que le Messager de Dieu (ﷺ) dit : « Le mois est de vingt-neuf jours ».
Il rapporte également, à sa suite, d’après Ibn ‘Umar, que Dieu l’agrée, que le Prophète (ﷺ) dit : « Nous sommes une communauté illettrée. Nous n’écrivons pas et nous ne calculons pas. Le mois est ainsi, et il plia le pouce, et le mois est ainsi, c’est-à-dire, trente jours ».
Le sens de ce hadîth, est que le Prophète (ﷺ) a tout d’abord fait signe de ses mains et de ses dix doigts à trois reprises et a plié, à la troisième, le pouce, pour signifier que le mois peut contenir vingt-neuf jours. Puis, il a répété le même signe sans plier, à la troisième fois, aucun doigt pour signifier que le mois peut également contenir trente jours. C’est-à-dire : le mois peut contenir tantôt vingt-neuf jours, tantôt trente jours.
C’est ainsi qu’an-Nasâ-î a relaté l’explication de ce hadîth d’après Shu’ba ibn Suhaym d’après Ibn ‘Umar.
Et ce n’est pas tout ce qui a été relaté à ce sujet. En effet, la version qui complète le sujet et explique la cause, conciliant ainsi les différentes versions relatées d’après le Prophète (ﷺ) est celle rapportée par al-Bukhârî, Muslim, Ahmad, Abû Dâwûd et an-Nasâ-î (les termes sont ceux relatés par al-Bukhârî) selon laquelle le Messager de Dieu (ﷺ) dit : « Nous sommes une communauté illettrée, nous n’écrivons pas et nous ne calculons pas, le mois est comme ceci ou comme cela, c’est-à-dire, vingt-neuf ou trente jours »
Ce hadîth constitue le pilier central de la tente dans notre sujet. En effet, le Messager de Dieu (ﷺ) explique la raison pour laquelle il a ordonné la considération de la vision de la nouvelle lune, à l’œil nu, pour le début et la fin du jeûne, à savoir, qu’il appartient à une communauté qui ne sait ni écrire ni calculer. Le seul moyen qu’elle possède lui permettant de connaître le début et la fin du mois est la vision de la nouvelle lune, étant donné que le mois est composé tantôt de vingt-neuf jours, tantôt de trente.
C’est ce que les commentateurs du hadîth ont compris de ce texte. Ibn Hajar dit dans fath al-bârî : « Nous n’écrivons pas et nous ne calculons pas », c’est-à-dire, les musulmans présents lors de cette allocution. Cela est compris dans le sens de « la plupart » car l’écriture était peu répandue. Le calcul correspond ici aux calculs des phases des étoiles. Ils ne connaissaient que peu de choses à ce sujet. Ainsi, il a lié la prescription du jeûne et autre à la constatation visuelle pour leur épargner toute gêne provoquée par la difficulté du calcul de l’évolution des étoiles ».
Dans ‘umdat al-qârî, al-‘Aynî a également expliqué le fait que le Législateur ait lié le jeûne à la vision par le fait de lever la gêne causée par la difficulté due au calcul astronomique comme nous l’avons relaté d’après Ibn Hajar. Al-‘Aynî rapporte les propos d’Ibn Battâl à ce sujet : « On ne nous a pas astreint à connaître les temps légaux de notre jeûne ou de nos actes cultuels par des moyens qui nécessitent la connaissance du calcul ou de l’écriture. Au contraire, nos actes cultuels sont liés à des signes clairs et à des choses manifestes dont la connaissance est tirée par le calcul ou autre ». Al-Qastallânî dit dans irshâd as-sârî sharh al-bukhârî la même chose qu’Ibn Battâl.
As-Sindî dit dans son livre hâshiyat sunan an-Nasâ-î en commentant le terme « illettrée » cité dans le hadîth : « Illettrée par le fait de ne connaître ni l’écriture ni le calcul. C’est pourquoi il ne nous a pas imposé le calcul des astrologues, ni les mois solaires cachés, mais il nous a imposé les mois lunaires manifestes ».
Il est clair d’après tout cela que l’ordre d’adopter la vision de la nouvelle lune n’est pas dans le sens que cette vision est un acte cultuel en soi. Il s’agit plutôt du seul moyen à leur disposition à cette époque, permettant à ceux qui sont dans ce cas, c’est-à-dire, illettrés n’ayant aucune connaissance de l’écriture et du calcul astronomique, de déterminer le début et la fin du mois lunaire.
La teneur du texte juridique implique qu’à cette époque, si le Messager de Dieu (ﷺ) et son peuple Arabe connaissaient l’écriture et le calcul, de manière à être capables d’observer les astres, d’écrire et calculer leurs trajectoires déterminées par la puissance de Dieu, Le Sachant et L’Omnipotent, d’une manière constante et imperturbable, au point de connaître au préalable, par le calcul, le moment de l’apparition de la nouvelle lune qui marque la fin du mois écoulé et le début du suivant, ils auraient adopté le calcul astronomique. Il en est de même pour ceux chez qui cette science est parvenue à un niveau de précision et d’exactitude fiable.
Cela sera, à ce moment, plus sûr et plus précis dans la détermination de la nouvelle lune que de se fier à deux témoins oculaires qui ne sont pas à l’abri ni de l’erreur ni d’une illusion optique ni d’un mensonge pour un intérêt personnel dissimulé et ce, quel que soit notre effort de vérification de leur intégrité morale apparente. Ainsi, le calcul astronomique et plus sûr et plus précis que de se fier à un seul témoin lorsque le ciel n’est pas dégagé rendant la constatation visuelle difficile conformément à certains avis juridiquement considérés dans ce cas.
D’ailleurs, il existe des savants parmi les prédécesseurs (salaf) – alors que le calcul astronomique n’était pas précis – qui ont dit : « Le connaisseur du calcul doit l’appliquer pour lui-même ». Ceci est l’avis de Muttarrif ibn ‘Abdullâh, parmi les tabi’în, relaté par le savant malikite al-Hattâb dans son livre mawâhib al-jalîl.
Al-Qushayrî dit : « Si le calcul indique que la nouvelle lune est apparue dans l’horizon de manière visible, s’il n’y a pas d’empêchement comme les nuages, par exemple, cela implique l’obligation (du jeûne) pour l’existence de la cause juridique, puisque la vision n’est pas une condition en soi pour l’obligation (du jeûne). En effet, ils s’accordent à dire que le prisonnier dans un silo souterrain, s’il prend connaissance par le fait de porter sha’bân à trente jours ou par effort de réflexion personnel que ce jour appartient au ramadan, il devra jeûner. »
Al-Qalyûbî, parmi les shafi’ites, relate les propos suivants d’al-‘Abbâdî : « Si le calcul catégorique indique l’impossibilité d’observer la nouvelle lune, l’attestation des témoins intègres de l’avoir vue n’est pas acceptée et leur témoignage sera rejeté ». Puis, al-Qalyûbî dit : « Ceci est clair et manifeste. Dans ce cas il n’est pas permis de jeûner. Contrevenir à cela n’est qu’obstination et arrogance. »
Il est également clair pour toute personne douée de science et de compréhension que l’ordre du Messager (ﷺ) de compléter le mois en cours à trente jours en cas d’impossibilité d’observer la nouvelle lune à cause de la brume, des nuages ou autres, ne signifie guère que le mois en cours contient réellement trente jours. Il est possible que la nouvelle lune soit déjà visible si le ciel était dégagé. Dans ce cas, le jour suivant que nous avons considéré comme le trentième et dernier jour du mois est en réalité le premier jour du nouveau mois que nous devons jeûner ou qui marque la fin du jeûne. Mais, parce que nous n’avons pas pu connaître cela au moyen de la constatation visuelle qui a été empêchée, et parce que nous ne possédons aucun autre moyen, nous sommes alors juridiquement pardonnés si nous avons complété le mois de sha’bân à trente jours, alors qu’il comportait en réalité vingt-neuf jours. Nous n’avons donc pas jeûné le premier jour du ramadan car « Dieu n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité » (2 : 286).
Voilà l’analyse de ce sujet et sa compréhension d’un point de vue rationnel et selon le droit musulman. Par ailleurs, le fait de compléter le mois à trente jours en cas d’impossibilité de la vision ne signifie pas que cela nous a permis de parvenir à la connaissance de la réalité des choses concernant la fin du mois précédent et le début du mois suivant.
Et puisqu’il est évident que la constatation visuelle de la nouvelle lune n’est pas en soi un acte cultuel en islam, mais un moyen de déterminer le temps légal qui était le seul moyen à la disposition d’une communauté illettrée qui ne sait ni écrire ni calculer, et c’est son illettrisme qui est la cause de l’ordre d’adopter la constatation visuelle conformément au texte prophétique, la source de la prescription, qu’est-ce qui empêcherait juridiquement l’adoption du calcul astronomique catégorique qui nous permet de connaître préalablement le début du nouveau mois ? Aucun nuage ni brume ne pourrait voiler une science si ce n’est la brume qui couvre la raison.
La raison pour laquelle les anciens ont réfuté la prise en compte du calcul astronomique
De toute évidence, les jurisconsultes et commentateurs du hadîth réfutent le fait de se fier au calcul astronomique pour déterminer les débuts et les fins des mois lunaires pour le jeûne et la rupture du jeûne. Ils affirment que la législation ne nous a pas astreint, pour connaître les temps légaux du jeûne et des actes cultuels, à la connaissance du calcul ni de l’écriture. La législation a lié la prescription à des signes clairs connus aussi bien de ceux qui savent écrire et calculer que des autres. C’est ce que nous avons relaté d’après al-‘Aynî, al-Qastallânî, Ibn Battâl, as-Sindî et autres. L’objectif étant la possibilité d’appliquer la législation de tout temps et en tout lieu.
Mais il est bon de relater leurs justifications de ce refus afin d’en définir la cause et le fondement, ce qui prouvera que cette cause est liée au contexte du passé et ne s’applique pas à ce qu’est devenu le calcul astronomique de nos jours.
En effet, Ibn Hajar relate d’après Ibn Bazîza que la prise en compte du calcul « est un avis invalide. En effet, la législation a interdit le fait de s’adonner à l’astrologie car il s’agit de conjecture et d’approximation ne contenant aucune certitude. De plus, ses résultats sont différents d’un astrologue à l’autre, ce qui aboutira à la divergence et à la dispute entre les astreints (les personnes responsables) ».
Dans son commentaire du muwatta , az-Zurqânî relate les propos suivants d’an-Nawawî : « Ne pas se fier au calcul des astrologues car il s’agit de conjecture et d’approximation. On ne prend en compte que ce qui permet d’identifier la direction de la qibla et les temps légaux », c’est-à-dire que le calcul est pris en compte uniquement pour les temps légaux de la Prière.
Ibn Battâl cite ce qui confirme cela. Il dit : « Ce hadîth (c’est-à-dire, le hadîth : « Nous n’écrivons pas et nous ne calculons pas ») abroge la prise en compte des astres en recourant aux lois de correction. On ne peut se fier qu’à la constatation visuelle des nouvelles lunes. Nous pouvons recourir au calcul en ce qui concerne les choses évidentes ou presque évidentes. Mais, concernant les choses cachées qu’on ne peut connaître que par conjecture et par dévoilement des choses invisibles, on nous l’a interdit ».
Ibn Taymiya dit en justifiant l’interdiction de recourir au calcul : « Dieu n’a pas accordé à la naissance de la lune un calcul exact. Ils ne déterminent son évolution que par correction pour concorder avec le calcul. Mais ceci n’est pas absolu, mais approximatif ».
Il dit dans un autre endroit : « Ceci est l’une des raisons qui implique la non-application de l’écriture et du calcul en ce qui concerne les nouvelles lunes ». Il a confirmé cela à plusieurs endroits dans le chapitre consacré à ce sujet.
Ceci dit, il semblerait d’après les dires d’Ibn Taymiya, qu’il considère que le fait de se fier au calcul pour déterminer les débuts des mois lunaires est l’œuvre des mages et des astrologues qui lient les évènements qui se produisent sur terre et les sorts à l’évolution des astres et à leurs conjonctions. En effet, il dit à la fin du long chapitre consacré à ce sujet : « Emettre un avis fondé sur les astres est invalide rationnellement et interdit juridiquement, car l’évolution de l’astre – même si elle a un effet – n’est pas indépendante. Au contraire, l’influence des Esprits et des Anges est plus grande que son influence, de même que les corps naturels qui se trouvent sur terre … ». Puis, il dit : « Le mage englobe l’astrologue et autre, textuellement ou par le sens. Or, le Prophète (ﷺ) dit : « Celui qui a tiré une quelque connaissance de l’astrologie a emprunté l’une des voies de la sorcellerie. » Ainsi, se manifeste l’interdiction de tirer une connaissance des astres. Et nous avons indiqué que cela est rationnellement impossible d’une manière générale. D’ailleurs, les plus habiles parmi les astrologues approuvent ceci. Il est alors clair pour eux que leur avis concernant la vision de la nouvelle et l’influence des astres sur les évènements et les chances ne peut être vérifié avec précision conformément aux preuves rationnelles, et ceci est interdit conformément aux preuves juridiques. »
Ibn Taymiya a fait preuve d’une extrême fermeté à l’égard de quiconque serait pour le calcul astronomique en le discréditant sévèrement. Il dit : « Quiconque écrit ou calcule ne fait pas partie de cette communauté concernant ce sujet. Au contraire, il aura suivi une autre voie que celle des croyants ».
Mon avis à ce sujet
D’après tout ce qui a été exposé précédemment, les quatre points suivants se manifestent d’une manière claire :
Premièrement : L’analyse de tous les hadîths prophétiques authentiques relatés à ce sujet et le fait de les lier les uns aux autres – et tous sont au sujet du jeûne et de la rupture du jeûne – mettent en évidence la raison pour laquelle le Messager de Dieu (ﷺ) a ordonné aux musulmans de se fier, pour déterminer le début et la fin du mois et le début du jeûne et sa fin, à la vision de la nouvelle lune. Il précise que cette raison est le fait qu’ils soient une communauté illettrée qui n’écrit pas et ne calcule pas, c’est-à-dire qu’ils n’ont aucune connaissance précise du calcul qui leur permettrait de déterminer le début et la fin du mois, puisque le mois lunaire contient tantôt vingt-neuf jours, tantôt trente.
Cela indique par déduction que si la connaissance du calcul astronomique catégorique que Dieu a établi d’une manière invariante, est acquise, et si cette science nous permet de connaître avec certitude les moments de la naissance de la nouvelle lune pour chaque mois, et à quel moment, après sa naissance, elle devient visible à l’œil nu en absence des mauvaises conditions climatiques qui empêcheraient la vision, à ce moment, rien n’empêche juridiquement la prise en compte de ce calcul pour sortir les musulmans de la problématique liée à l’affirmation de la visibilité de la nouvelle lune et du désordre qui devient honteux, voire ahurissant, dans la mesure où la différence entre certains pays musulmans concernant le début du jeûne atteint les trois jours, comme cela s’est produit certaines années.
Deuxièmement : Les premiers jurisconsultes qui ont stipulé l’interdiction de se fier au calcul (qu’ils appelaient : calcul des trajectoires) pour la détermination du mois lunaire, pour le jeûne et la rupture du jeûne, disaient du calcul qu’il était fondé sur la loi de correction qui est une loi incertaine fondée sur la conjecture et l’approximation. Tous se sont basés sur l’état de ce calcul à leur époque. En effet, à leur époque, la science de l’astronomie qui était assimilée à l’astrologie, n’était pas fondée sur une observation précise avec des moyens fiables. Il n’existait pas à l’époque des observatoires équipés de télescopes qui observent les trajectoires des astres et des étoiles et les enregistrent avec une extrême précision, à la seconde près. C’est pourquoi, ils donnaient à cette science le nom de « calcul des trajectoires fondé sur la loi de correction » : En effet, l’astrologue calculait la trajectoire des astres à des temps différents puis apportait une correction en se basant sur la médiane d’entre elles. Il fondait alors son calcul sur celle-ci. C’est là le sens de la loi de correction.
A partir de-là, leur calcul était conjectural et approximatif comme le décrivirent ces jurisconsultes qui réfutèrent le fait de s’y fier, bien que certains d’entre eux, comme l’imâm an-Nawawî, autorisa explicitement de se fier à leur calcul pour déterminer la direction de la qibla et les temps légaux des Prières mais pas pour déterminer le début du jeûne, bien que la Prière est, en islam, une question plus importante que le jeûne, supérieure au jeûne dans l’échelle des obligations, selon l’avis consensuel des jurisconsultes.
Nous avons précédemment relaté les propos d’Ibn Battâl disant que : « Nous pouvons recourir au calcul en ce qui concerne les choses évidentes ou presque évidentes… » et c’est ce qui qualifie la science de l’astronomie de nos jours qui est parvenue à une extrême précision.
Troisièmement : Les premiers jurisconsultes ont rencontré à leur époque un grave problème, à savoir, la confusion et le lien étroit, dans le passé, entre l’astrologie, la divination et la sorcellerie d’un côté, et le calcul (dans le sens de l’astronomie) d’un autre côté. Il semblerait qu’un grand nombre parmi les spécialistes du calcul s’adonnait également aux autres choses fortement interdites par la législation. Ainsi, autoriser le calcul présentait deux préjudices :
Le premier : Il est conjectural et approximatif fondé sur la loi de correction comme elle a été définie ultérieurement. Il serait inimaginable de délaisser la constatation visuelle pour ce calcul malgré les confusions qu’il présente.
Le deuxième : et c’est le plus grave : cela poussera les gens à se fier à ces astrologues et charlatans qui ont fait de l’imposture et de l’arnaque des gens leur métier.
Ce deuxième préjudice explique la forte réprobation lancée par Ibn Taymiya contre ceux qui ont recours au calcul et à l’astrologie, pour déterminer la naissance de la nouvelle lune au lieu de la constatation visuelle, les considérant du nombre de ceux qui ont suivi une autre voie que celle des croyants. Pour preuve, il les a explicitement considérés comme des mages et ceux qui lient les évènements qui se produisent sur terre et les sorts à l’évolution des astres et à leurs conjonctions, c’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont appelés « astrologues ». Il a cité pour se justifier le hadîth précédent : « Celui qui a tiré une quelque connaissance de l’astrologie a emprunté l’une des voies de la sorcellerie. »
Il est inimaginable que le Prophète (ﷺ) puisse interdire une science qui dévoile l’ordre de l’Univers ainsi que la puissance de Dieu, Sa sagesse et Son omniscience qui se manifestent à travers la création de l’univers selon un ordre précis et imperturbable. Cela s’intègre dans le verset : « Dis : « Regardez ce qui est dans les cieux et sur la terre » » (10 : 101). Ainsi ce hadîth ne concerne que le charlatanisme et les choses aberrantes que les astrologues ont mélangées au calcul astronomique, qui, à cette époque, n’avait pas encore atteint la maturité et le niveau de la science et de la fiabilité.
Quatrièmement : A notre époque, l’astronomie dans son sens réel, s’est parfaitement distingué, depuis longtemps, de l’astrologie, du charlatanisme et de la divination, devenant une science fondée sur les observateurs astronomiques dotés d’instruments scientifiques qui servent à observer, mesurer et quantifier les phénomènes présents dans l’univers (observation et mesure des trajectoires des astres situés à des années lumières) d’une manière précise à la milliseconde. C’est sur la base de cette science qu’on a établi des stations spatiales orbitales autour de la terre qui accueillent les vaisseaux spatiaux… Peut-on ensuite douter de la précision et de l’exactitude de ses calculs ? Comment peut-on comparer cette science aux moyens primitifs et conjecturaux qui existaient du temps de nos prédécesseurs ?! ».
Mustapha az-Zarqâ (émient jusirconsulte (faqîh) syrien décédé en 1999)
Titre original de l’épître : limâdhal-ikhtilâf hawla al-hisâb al-falakî
Traduit Par Moncef Zenati
[1] – Eminent savant syrien décédé en 1999